Le chant de la Légion Étrangère en Espagne

par Thierry Bouzard

Complètement oublié des légionnaires, ce chant est parmi les plus anciens de la Légion, une véritable relique. Les paroles ont été publiées dans le Livre d’or de la Légion étrangère du général Rollet sans la musique (éd. Lavauzelle, 1976, p. 37). Il a été chanté lors de la veillée de Camerone en 1967 et la plaquette de l'événement en publie la partition sous le titre « La Légion en Espagne ». De 1963 à 1970, la Légion organisa le 29 avril en soirée, une veillée de Camerone.

Partition Chant de la Légion en Espagne, 1961

Son titre d'origine, tel qu'il figure dans l'ouvrage de Bernelle et Colleville (Histoire de l’ancienne Légion étrangère, Paris, 1850, p. 185 et 186) est « Chant de la Légion française en Espagne ». Il s'agissait de ne pas la confondre avec la Légion britannique engagée dans le même camp.
Le contexte politique de l'époque avait conduit Louis-Philippe à « livrer » la Légion, c'est le terme de la convention, à la reine Isabelle II pour combattre les troupes carlistes.
En 1833, le roi Ferdinand VII meurt en désignant sa fille Isabelle pour lui succéder, écartant ainsi son fils Don Carlos. Malgré les soutien étrangers, les carlistes étaient en voie de l'emporter quand la Légion intervient.

D'après Bernelle, le chant est écrit le jour du débarquement, le 17 août 1835, et repris pendant tout le séjour en Espagne. L’auteur des paroles est le sergent-major Emile Bon. La musique est empruntée à une mélodie d'Alexandre Choron. La Sentinelle est composée en 1804 et surnommée « La Marseillaise de l’Empire ». « Chantée sur tous les théâtres de l’Europe, variée pour tous les instruments, du violon à la petite flûte, vendue en deux ans à plus de vingt mille exemplaires, La Sentinelle valut à son auteur une célébrité extraordinaire. Choron était si fier de son succès qu’il signait ainsi ses ouvrages : Par Alexandre Choron, auteur de La Sentinelle » (Pierre Larousse).

Partition La Sentinelle

En 1804, le peuple veut oublier les massacres révolutionnaires et prend goût pour les romances. La Sentinelle en est un exemple, ainsi que le célèbre Partant pour la Syrie. Toutefois, la composition de Choron est si difficile à interpréter, que l'on imagine mal les 4000 légionnaires la chanter pendant toute la campagne. Lors de son premier enregistrement en 2011, les élèves-officiers, pourtant expérimentés, durent laisser les couplet à un soliste (SLT Hennequin) et le refrain au chœur.

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La lecture des paroles donne l'état d'esprit des soldats au début de la campagne, leur recrutement (polonais et germanique), leurs idéaux (combat pour la liberté et contre la tyrannie). Les paroles n'évoquent pas les Suisses (1er, 2e et 3e bataillon avec les Allemands), les Belges et les Hollandais (6e bataillon), les Espagnols (4e bat.), les Sardes et les Italiens (5e bat.) ni les Belges et les Hollandais (6e bat.). En revendiquant les idéaux révolutionnaires, la Légion combat avec une Légion britannique, l'ennemi héréditaire. Cette situation particulière explique la position toute spéciale de la Légion pour cette campagne. Le duc d'Orléans résume la situation : « On avait dit à la Légion qu'elle allait se battre, et, sans demander pour qui, ni où elle combattrait, cette troupe qui, par sa composition, ses qualités et ses défauts, rappelait les Grandes Compagnies du Moyen Âge, alla s'engouffrer dans l'ingrate Espagne, qui la dévora tout entière, et ne rejeta à la France que des débris mutilés et des services inconnus. »

1. Nobles proscrits, ennemis des tyrans,
Réfugiés de tous les points du monde ;
La Liberté vous ouvre d’autres champs,
Où le canon d’un peuple libre gronde.
Son bruit par l’orage emporté,
Ebranle la vieille Ibérie,
Combattez pour la Liberté,
Vous reverrez votre Patrie.

2. Au premier rang, Polonais généreux !
Marchez, l’honneur vous vit toujours fidèles:
Pour vous guider, déjà du haut des cieux,
Votre aigle blanc a déployé ses ailes.
La Vierge libre a répété,
En abandonnant Varsovie :
Combattez pour la Liberté,
Vous reverrez votre Patrie.

3. Enfants du Rhin, si fiers d’être Français,
En vain les rois ont posé des barrières ;
Rappelez-vous qu’en des jours de succès,
La France libre avait d’autres frontières.
L’arbre du peuple est replanté
Guerre à mort à la tyrannie !
Combattez pour la Liberté
Vous reverrez votre Patrie.

4. Du Sud au Nord, bravant tous les climats,
O Légion ! tu portes ta bannière,
Quand l’univers connaîtra tes soldats,
Tu dois enfin cesser d’être étrangère !
Tes fils auront droit de cité
Sur une terre rajeunie ;
Combattez pour la Liberté,
Vous reverrez votre Patrie.

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