Contre les Viets

par Thierry Bouzard

« Contre les Viets » fait partie de ces nouveaux chants apparus au sein de la Légion pendant la guerre d'Indochine. Ils renouvellent le répertoire légionnaire. Certains sont enregistrés peu de temps après leur création dans des circonstances et des pressages aujourd'hui oubliés.

Le chant est gravé pour la première fois en 1950 par Képi blanc sur un disque 78 tours. Il s’agit d’un programme d’enregistrements annoncé par une souscription dans la publication Képi blanc en novembre 1950 (n° 44) et modifié en décembre (n° 45). Ce sont les tout premiers enregistrements de chants légionnaires.

Première et seconde souscription de « Képi blanc »

Le changement de programme de la souscription montre que le commandement veut répondre aux attaques subies par la Légion et le corps expéditionnaire venant du Parti communiste en métropole, faisant ainsi du chant un outil de communication du commandement. Le contexte est particulièrement sensible puisque outre les actions en métropole (sabotage d’armement et de munitions, entrave au transport des blessés, manifestations contre les embarquements, …), le PCF envoie des cadres conseiller les gardiens de camps de prisonniers (cf. Boudarel). Ainsi au lieu des chants légionnaires traditionnels, sont gravés les nouveaux chants de combat apparus en Indochine avec des paroles adaptées aux circonstances : « la rue appartient à celui qui y descend ». Or il n’y a pas de combat de rues en Indochine. Le message s’adresse donc directement aux adversaires de la métropole.

Contre les Viets fait partie de ces nouveaux chants apparus en 1948 au sein du 1er BEP. Un chœur du 1er REI dirigé par le capitaine Hallo l’enregistre sous le titre Oh légionnaire (78 tours, Képi blanc, réf. LE08/09, 1950). Il est différent de la version publiée et chantée actuellement par les légionnaires.

1er enregistrement Képi blanc 1950 :

1. Malgré le froid, malgré les obus,
Sous les rafales et sous les bombes,
Nous avançons vers le même but,
Dédaignant l’appel de la tombe.


Refrain
Ô légionnaires,
Le combat qui commence,
Est dans nos âmes,
Symbole d’espérance,
Peuvent pleuvoir, grenades et gravas, (bis)
Notre victoire en aura plus d’éclat. (bis)


2. Contre les Viets, contre l’ennemi,
Partout où le combat fait signe,
Soldats de France, soldats du pays,
Nous remonterons vers les lignes.

Signe de sa filiation, sa mélodie est empruntée au chant de marche de la SA (Sturm Abteilung) du parti national-socialiste allemand, Die dunkle Nacht ist nun vorbei (la nuit sombre est maintenant partie), dont la musique a été composée par Georg Blumensaat dans les années 30. La première compagnie parachutiste de la Légion est constituée en Indochine en 1948 sous l’autorité du capitaine Morin au sein du 3e REI. Son recrutement initial fait appel aux soldats allemands qui avaient été formés au saut en parachute par la Luftwaffe. Son encadrement est constitué d’anciens soldats français engagés dans la lutte contre le bolchevisme sous l’uniforme allemand. Ce recrutement contribue à influencer le répertoire.

Ne pouvant pas laisser chanter ses légionnaires uniquement en allemand, le commandement fait adapter les paroles des chants par les sous-officiers qui disposaient déjà de versions en français (témoignage du Col Luciani à l'auteur, 2003). L’ennemi communiste à combattre étant le même et les adaptations sont minimes. Les « Rouges » deviennent les « Viets » et le « froid » deviendra le « vent » dans la version publiée en 1951. Les changements se font ainsi progressivement. Le premier enregistrement conserve le couplet d’origine : « Ô légionnaires,/Le combat qui commence,/Est dans nos âmes, Symbole d’espérance »… La modification est opérée en 1951 dans le carnet publié en Indochine par le Père de Vesvrotte. Il s'agit de la première publication des paroles (Chante Légion, Aumônerie catholique de la Légion au Tonkin, 70 pages, 1951). Les « balles » ne viendront remplacer le « froid » qu’à partir de l’édition 1993 du carnet officiel. Le dernier couplet n’est pas enregistré mais figure, modifié lui aussi, dans les carnets de chants.

Aumônerie du Tonkin, 1950 (cliquez pour agrandir)
Carnet officiel Képi blanc, 1959 (cliquez pour agrandir)

Bien entendu, il n’est pas question de politique au sein de la Légion. Mais cette adoption de mélodies germaniques sera le prétexte à plusieurs campagnes de dénonciation de chants « nazis » au sein de la Légion et de l’armée française. Le chant participant à la cohésion des unités ces attaques constituaient un moyen d’atteindre le moral de la troupe. Contre les Viets est publié dans l’édition 1985 du TTA 107 et figure dans tous les carnets officiels légionnaires. Très populaire dans toute l’armée, on le retrouve dans plus d’une soixantaine de carnets de chants et une vingtaine d'enregistrements militaires.

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