Eugénie

par Thierry Bouzard

Eugénie est une chanson de la Légion étrangère. Le premier recueil de chants légionnaires dans lequel elle est publiée (Marches et chants de la Légion étrangère, Képi blanc, 1959, pp. 30-31) fait remonter son origine à l'intervention française au Mexique (1862-1867). Toutefois, elle n'est mentionnée dans aucun document de la campagne ni aucun mémoire de l'époque. On ne retrouve pas le chant dans les ouvrages historiques sur la Légion ni dans ceux consacrés au chant militaire antérieurs à la guerre d'Algérie, pas plus que dans les éditions précédentes de carnets de chants légionnaires et militaires.

Le carnet de 1959 est réalisé par le commandant Hallo, celui qui avait déjà conduit les premiers enregistremenst de chants légionnaires en 1950. C'est le premier recueil officiel de chants de la Légion étrangère. Il veut structurer le répertoire en classant les chants par périodes. Mais en l'absence de documents et de travaux sur le répertoire, le classement pour la période 1831-1939 laisse apparaître quelques inexactitudes (Anne-Marie du 2e et du 3e REI, Monica, …).

Eugénie n'est pas une composition originale. Elle est manifestement inspirée de la chanson de marin, Belle Virginie. Elle est publiée sous trois versions différentes dans les Chansons populaires comtoises de Garneret et Culot (3 tomes, Association du Folklore Comtois, 1972, 1974 et 1985) et reprend une publication du chanoine Grospierre de 1924. Le musicologue Patrice Coirault dans son Répertoire de la chanson orale (3 tomes. Ouvrage révisé et complété par Georges Delarue, Marlène Belly et Simone Wallon. Paris, BnF) donne plusieurs versions de la chanson de marins Belle Virginie dont la mélodie est proche de la version légionnaire : une version d'un garde-phare de Noirmoutier de 1832 et une d'un marin de Saint-Jean-de-Monts de 1899, la destination est alors l'Amérique. Une version retrouvée au Québec mentionne par contre le Mexique.

Le Chansonnier des compagnons de France publié en février 1943 (page 44) donne pour nom Ugénie à une chanson sur le même air et avec pour destination le Mexique. Cette chanson d'adieu est individuelle alors que la version légionnaire est collective : Ugénie les larmes aux yeux, / Je viens te faire mes adieux. / Nous partons pour le Mexique / Nous allons droit au couchant; / Adieu donc mon Ugénie, / Nous mettons les voiles au vent.

Chansonnier des compagnons de France

L'Agenda légionnaire officiel pour l'année 2013 (Légion étrangère, éditions Publi presse, Marseille, semaine 13) a adopté le chant pour thème et mentionne bien que Eugénie n'était pas connu dans les années trente et quarante à la Légion, retenant comme hypothèse probable sa création par celui qui allait devenir le général Hallo. Le Dictionnaire de la Légion étrangère (Paul-André Comor (sous la direction), La Légion étrangère, histoire et dictionnaire, Robert Laffont, 2013, p. 356) reprend aussi cette datation.

Disque Centenaire de Camerone
Le chant ne figure pas dans la série de 78 tours enregistrée en 1950-52, ni dans les deux 30 cm du 5e REI enregistrés en 1956, pas plus dans l'enregistrement des officiers du 1er REP au Fort de Nogent de 1961.

Le premier enregistrement actuellement identifié de ce chant figure donc sur le 30 cm de la SERP, Centenaire de Camerone (n° 3, 1965). Les enregistrements suivants du chant sont ceux du 2e REP (30 cm, Janeret, 92.027) et de la Musique de la Légion étrangère (30 cm, Janeret, 90.012) qui l'intègre à un pot-pourri. Dans l'anthologie de la musique militaire française édité par la SERP en 1969, Eugénie figure dans la période Second Empire avec les paroles (Marches et refrains de l’armée française, 4 x 30 cm, MC 7005, 1969). C'est la première mention de la datation du chant dans un enregistrement. Il est ensuite repris par des promotions d'élèves officiers (ESM Lieutenant Darthenay 1976, ESM Maréchal Davout 1979, EMIA Lieutenant Borgniet 1984). Les jeunes officiers diffusant ensuite au sein de la troupe le répertoire utilisé en école jouent un rôle central dans la crédibilisation de l'historique du chant.
Il est ensuite régulièrement publié et enregistré en le rattachant à la campagne du Mexique.

Aujourd'hui bien enraciné dans les traditions légionnaires, ce chant illustre la difficulté à distinguer l'histoire de la légende en matière de tradition orale. Bien entendu, une transmission orale ne serait pas à exclure, toutefois en l'absence de documents, il est délicat de remonter au-delà de la première publication identifiée actuellement, à savoir le carnet de 1959.

Carnet de 1959

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