La Galette

par Thierry Bouzard

Le chant des élèves-officiers regroupe plusieurs caractéristiques originales montrant l'intérêt du chant militaire (compositeur illustre, origine étrangère, chant de protestation, ancienneté, …). Authentique moyen d'expression et alors que « la discipline est la force principale des armées », La Galette montre comment un chant de prostestation peut devenir un chant de tradition, et servir de modèle.

Composé en 1845 par l'élève-officier Pierre-Léon Bouisset (1824-1900) de la promotion d'Isly, c'est au départ un chant de prostestation. En effet, en 1845 le maréchal Soult fait adopter le Grand Uniforme doté de l’épaulette à franges, auparavant réservée aux élèves d’élite. Depuis 1820, les élèves les plus mal notés portaient la contre-épaulette bleu foncé à liseré rouge, ou galette, à laquelle ils vouaient un véritable culte. Et traditionnellement, ce sont les plus mal notés qui font autorité au sein de l’école car les élèves considéraient que la valeur militaire n’avait aucun rapport avec la notation et pouvait même être en rapport inverse. Il est créé à l'origine comme le chant de triomphe de la promotion d'Isly.

78 tours Ultraphone AP.1.478 matrice 77.303

Son air est emprunté au chant Suoni la tromba, e intrepido tiré de l’acte II de l’opéra Les Puritains de Vincenzo Bellini composé en France, en 1834. Ce passage dit la gloire qu’il y a à combattre en brave l’ennemi. La première de cet opéra sera donnée à Paris au Théâtre des Italiens le 20 janvier 1835. Mort jeune à 34 ans la même année, Bellini va incarner une figure du romantisme alors naissant ce qui contribue à sa popularité. De plus, il faisait partie de ce milieu d’intellectuels et d’artistes italiens réfugiés à Paris dont la réputation participe au développement des idées libérales, considérées comme révolutionnaires à l’époque, qui allaient mener à l’unification de l’Italie. Si l'hostilité à l’Autriche et l’esprit libéral du régime n’iront pas plus loin dans le soutien au patriotes italiens que l’expédition d’Ancône (1832-1838) malgré les bouillonnement des idées patriotiques dans toute l'Europe. Cet extrait de l’opéra était joué dans les rues des villes de tout le continent sur les orgues de barbarie et interprété par les chansonniers, il est resté très populaire en Italie.

Le titre et le sujet de la chanson de tradition des élèves sont incompréhensibles au « pékin » (étranger à l’école). Ainsi cette chanson est voulue dès son origine comme appartenant à un répertoire réservé aux élèves. Il est à noter que c’est une des rares chansons de soldat à ne pas avoir de refrain. Si la galette n’est pas mentionnée dans le deuxième couplet elle est le sujet principal du chant. Cette vénération a quelque chose de délibérément dérisoire et incompréhensible pour le profane : elle est l’égale de l’étendard. Ce clivage opéré entre les élèves et le monde extérieur manifeste qu’ils se considèrent comme appartenant à un monde à part. Le quatrième couplet nous apprend que le culte de la galette prépare les élèves à faire face au déchaînement du souffle du malheur ou au destin de périr pour l’honneur et qu’elle leur permet de porter l’épaulette d’or des officiers. Il faut attendre le quatrième couplet pour comprendre qu’il s’agit d’un attribut de la plus haute importance pour les élèves. Cet état d’esprit élitiste et frondeur entretenu avec l’accord du commandement, puisqu’il s’agit d’un chant de contestation devenu un chant de tradition, est l’expression de cet esprit de caste revendiqué par les officiers.

Paroles du recueil de 1942

Créé en 1845, La Galette est aussi un des tout premiers chants de tradition avec le Chant des chasseurs d'Afrique (1843) et la Sidi-Brahim (1847). Il s'inscrit dans la politique de Louis-Philippe qui vise à réconcilier la France avec son histoire (adoption du drapeau au trois couleurs, filiation des régiments et rédaction des historiques régimentaires, installation de la Galerie des batailles, inauguration de l'Arc de triomphe, retour des cendres, …). La Galette et les premiers chants de tradition ont une grande importance dans le répertoire militaire français puisqu'ils vont servir de modèle et qu'encore aujourd'hui, un pan entier du répertoire actuel en est issu.

Comme tous les grands chants de tradition, il sera harmonisé pour orchestre. En 1912 l'harmonisation du chef de musique Joseph-Noël Alazard devient une marche officielle réglementaire très prisée pour les défilés, Saint-Cyr. Si la musique figure dans le manuscrit de Léonce Chomel (Bibliothèque du Musée de l'Armée), il n’en a pas relevé les paroles, signe que leur interprétation était réservée aux élèves de Saint-Cyr et qu'il ne pouvait être chanté par la troupe.

Partition de Léonce Chomel

Les paroles publiées dans le recueil de la promotion d'Egypte (1881-1883) montrent quelques différences avec la version actuellement chantée (Recueil de chansons et pièces diverses composées à Saint-Cyr, Imprimerie Merckel, 1902, 208 pages, collection de l'auteur). De son côté, Vingtrinier (Chants et chansons des soldats de France, 1902, p. 268) notait que dans le 4e couplet, au lieu de la « plage africaine », on chantait alors la « plaine lorraine » (promotion d'Egypte, 1881) ou « champs de Lorraine » (Chansons de l'école militaire, corniche brutionne, 1924, Musée des écoles). La version actuelle parle de la « terre africaine ». Le succès de cette mélodie lui vaut d'être aussi reprise par les élèves de l'école d'artillerie pour L'Artilleur de Metz. La tradition de l'école spéciale veut que le chant ait toujours été chanté depuis sa création en 1845. Il semble que son enregistrement par la promotion Roi Albert Ier, soit le premier réalisé (78 Tours, Ultraphone, matrice 77.302. Référence AP.1.476). Il est actuellement le plus ancien identifié.
La liste des enregistrements des écoles d'officiers est ici : Chants ESM-EMIA

Recueil de la promotion d'Egypte (1881-1883)

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