Réveillez-vous Picards

par Thierry Bouzard

Avec Réveillez-vous Picards, nous disposons avec certitude d'un chant authentique dont l'ancienneté ne fait aucun doute. Il est publié à Venise par Ottaviano Petrucci dans ses Canti B en 1503. Pour autant, il n'a pas toujours été au répertoire des soldats français.

Le recueil de Petrucci ne publie que des partitions polyphoniques sans les paroles. Elles pouvaient être trouvées dans d'autres publications de l'époque. Imprimée dans un des tout premiers recueils de partitions, la chanson a dû connaître une certaine notoriété. Sa sélection ne doit pas surprendre, à l'époque Flamands, Picards et Français étaient particulièrement renommés comme chanteurs, un grand nombre d'entre eux faisaient d'ailleurs partie de la chapelle pontificale.

Partitions des Canti B 1 & 2

Il ne faudrait pas croire que les soldats l'ont toujours chantée, bien au contraire. Leur répertoire étant oral, elle a longtemps disparu. Sa réintroduction est d'origine savante puisqu'elle n'est republiée qu'en 1875 par Gaston Paris (Chansons du XVe siècle, Librairie Firmin-Didot, Paris, pp. 140-141). Elle est reprise ensuite par J-B Weckerlin (L'Ancienne chanson populaire française, Garnier frères, Paris, 1887, pp. 428-429), puis par Théodore Gérold (Chansons populaires des XVe et XVIe siècles, JHE Heitz, Strasbourg, 1913, p. 61).

Si la chanson est mentionnée en 1907 par Vingtrinier (Chants et chansons des soldats de France, librairie Méricant, 1907, p. 7) et figure en 1942 dans Chansons de l'armée française (tome 1, éditions Chiron, 1942, p. 130), elle ne se retrouve pas dans la collecte de Chomel en 1910 (manuscrit à la bibliothèque du musée de l'Armée) ni dans l'ouvrage de Sarrepont (Chants et chansons militaires de France, major Sarrepont, lib. Illustrée, s.d.). Il faut attendre 1994 pour la retrouver dans un recueil militaire (Chants et traditions, Promotion combats de Tu-Lè, p. 468).

Partitions Chiron, 1942, pp 130-131

Elle est enregistrée dès 1955 par l'Ensemble vocal des professeurs de musique de l’Université (Chansons historiques françaises de Jeanne d'Arc à la Révolution, 25 cm BAM LD 07, 1955), mais ne figure dans un enregistrement militaire qu'à partir de 1985 (Chants, tambours et clairons à l'école d'infanterie, 30 cm, Corélia CC 85480, 1985). les paroles sont depuis régulièrement publiées et enregistrées, par les écoles et la troupe, confirmant son intégration au répertoire militaire actuel. Il semble que les quatre derniers couplets n'apparaissent pas avant l'édition 1980 de Chants d'Europe (ADE, Paris, p. 178). Ils sont ensuite repris par les carnets de chants militaires. Les publications, commes les enregistrements confirment donc une disparition du répertoire des soldats avec une réintroduction permise par les travaux musicologiques du XIXe siècle. La chanson n'aurait pas survécu sans la transcription de la musique et sa publication en 1503.

30 cm, Corélia, EAI, 1985

Le chant est postérieur à la mort du duc de Bourgogne (5 janvier 1477) et au mariage de sa fille avec l'empereur Maximilien d'Autriche (août 1477). Les permières opérations militaires sérieuses ne débutent qu'au printemps 1478 et la victoire d'Enguinegatte (7 août 1479) pourrait contituer la meilleure date. On a pu croire que Maximilien allait continuer sur sa lancée et aller en Bourgogne, ce qu'il ne fit jamais personnellement (mais on se battait en Bourgogne à ce moment en son nom selon le témoignage des chroniqueurs Thomas Basin, Philippe de Commynes ou Jean Molinet). Le chant n'est pas postérieur à la mort de Marie de Bourgogne, le 27 mars 1482.
Si ce chant évoque des soldats picards, ce n'était pas ceux des bandes de Picardie puisqu'ils étaient soldés par le roi de France et n'allaient pas entonner un chant de leurs ennemis.

1. Réveillez-vous Picards, Picards et Bourguignons,
Apprenez la manière d'avoir de bons bâtons,
Car voici le printemps et aussi la saison,
Pour aller à la guerre donner des horions.

2. Tel parle de la guerre, qui ne sait pas que c'est,
Je vous jure mon âme que c'est un piteux fait,
Et que maints hommes d'armes et gentils compagnons,
Y ont perdu la vie, et robe et chaperon.

3. Où est ce duc d'Autriche ? Il est en Pays-Bas,
Il est en Basse-Flandre avec ses Picards,
Qui nuit et jour le prient qu'il les veuille mener,
En la Haute-Bourgogne pour la lui conquester.

4. Adieu, adieu Salins, Salins et Besançon,
Et la ville de Beaune là où les bons vins sont,
Les Picards les ont bu, les Flamands les paieront,
Quatre pastards la pinte ou bien battus seront.

5. Quand serons en Bourgogne et en Franche-Comté,
Ce sera qui-qu'en-grogne le temps de festoyer,
Bouterons le Roy de France dehors de ces costeaux,
Et mettrons en nos panses le vin de leurs tonneaux.

6. Nous lansquenets etreîtres et soudards si marchons,
Sans finir de connaître où nous arriverons,
Aidons Dame Fortune et destin que suivons,
À prêter longue vie aux soldats bourguignons.

7. Quand mourrons de malheur, la haquebute au poing,
Que Duc nostre Seigneur digne tombeau nous doint,
Et que dedans la terre où tous nous en irons,
Fasse le repos guerre aux braves bourguignons.

8. Et quand viendra le temps, où trompes sonneront,
Au dernier ralliement, quand nos tambours batteront,
Nous lèveront bannières au fusils bourguignon,
Pour aller à la guerre donner des horions.

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