Le patrimoine musical de la cavalerie française


par Éric Conrad.


La disparition des fanfares de cavalerie constitue aujourd’hui un réel danger pour la conservation du patrimoine musical propre aux armes héritières des anciennes troupes montées.


La fanfare du régiment de cavalerie de la garde républicaine conserve jalousement une précieuse bibliothèque musicale digne de ce nom. Toutefois ses archives musicales ne remontent qu’à 1924 si l’on se réfère aux deux rapports suivants :

- Rapport n°142 du 15 mars 1924 du chef d’escadron Bouvet (commandant le 1er demi-régiment de cavalerie de la garde républicaine), sur l’incendie à la caserne des Célestins :

« Ce matin à 6h55 ; le garde Bonnaire, du 2ème escadron, rentrant de ville et arrivant dans la chambrée où il est logé pour y changer d’effets fut surpris par l’odeur de roussi qui y régnait. Voulant se rendre compte de la cause de cette odeur, et ne constatant rien d’anormal dans sa chambre, ouvrit la fenêtre et aperçut de la fumée sortant des fenêtres de la salle de répétition des trompettes située au-dessous de sa chambre. Sachant ce local inoccupé et présumant qu’un incendie s’y était déclaré, il descendit dans la cour pour mieux voir et, en effet, aperçut une fumée très épaisse derrière les fenêtres fermées de la salle de répétition. Il en avertit aussitôt le trompette de garde qui passait à ce moment et qui courut au poste de police y chercher la clé de la salle de répétition et avertir le service de caserne. Le trompette Arnaud, de service de garde, en ouvrant la salle la trouva emplie d’une fumée épaisse et dégageant une chaleur très intense. Il ouvrit les fenêtres pendant que quelques gardes accourus s’empressaient de jeter des seaux d’eau sur un placard tombé sur le parquet et qui se consumait. Le feu fut immédiatement éteint. Les dégâts consistent en un placard brûlé, placard qui fermait à clé et contenait des partitions de musique qui ont été détruites. Plusieurs lames du parquet sont également brûlées. Plusieurs instruments de musique (trompettes, timbales, grosse caisse, cors) tordus par la chaleur sont complètement hors de service. Les carreaux des fenêtres sont fendus, les planches à bagages avoisinant le placard brûlé sont légèrement carbonisées, les murs peints à l’huile sont décrépis. Les causes de l’incendie n’ont pu être déterminées. En présence du capitaine ingénieur Buffet, du régiment des sapeurs-pompiers nous avons constaté que le feu s’est déclaré dans le placard contenant les partitions et à hauteur d’homme. Ce sont ces partitions, celles placées sur les rayons du milieu, qui se sont consumées les premières, transmettant le feu aux étagères du placard, puis aux montants. Enfin le placard en tombant sur le plancher communiqua le feu aux lames du parquet. La dernière répétition des trompettes a eu lieu jeudi 13 mars dans l’après-midi. La salle fut fermée, ce jour là, par le trompette-major lui-même à 15h30. Ce gradé possède une clé de la salle des répétitions, la deuxième clé est en permanence déposée au poste de police en dehors des heures de répétition. Hier vendredi 15 mars le trompette-major Prod’homme s’est rendu dans cette salle à plusieurs reprises et l’a quittée, la dernière fois, vers 16h15. Au cours de cette dernière visite il a ouvert le placard aux partitions, dont il possède une clé ainsi que le chef trompette Leroy. Il inscrivit les absents de la répétition à cheval sur le registre ad’hoc, replaça ce registre dans le placard qu’il ferma à clé et partit sans avoir constaté quoi que ce soit d’anormal, fermant la porte de la salle à clé. L’enquête n’a pu démontrer que d’autres personnes aient pénétré dans cette salle depuis cette visite du trompette-major. La clé de la salle est restée au poste de police. Le feu s’étant déclaré dans le placard, et à hauteur de main, il est à présumer que le chef Prod’homme fumait ou a allumé une cigarette dans la salle, au cours de sa dernière visite. Il a dû placer machinalement cette cigarette allumée sur un des paquets de partitions contenus dans le placard, pendant qu’il faisait ses inscriptions sur son registre d’appel et, oubliant sa cigarette, qui même avait pu glisser entre les cartons, a refermé le placard et a quitté la pièce. La cigarette, alimentée par les poussières recouvrant les cartons a communiqué le feu à ces derniers qui se sont consumés lentement, à l’étouffée. Telle doit être l’origine de l’incendie - mais la preuve matérielle de sa cause n’a pu être obtenue L’inventaire exact des dégâts sera adressé ultérieurement. »

- Rapport n°176 du 28 mars 1924 sur l’incendie de la salle de répétition des trompettes :

« L’enquête poursuivie pour déterminer les causes de l’incendie qui s’est déclaré le 15 mars 1924 dans la salle de répétition des trompettes, n’a pu donner d’autres conclusions que celles du rapport n° 142 du même jour. Quelques débris d’étoffes calcinées ont été soumis à l’expertise du laboratoire municipal qui n’a pu en préciser la nature. Rien ne permet de supposer que cet incendie pourrait être dû à la malveillance. L’hypothèse la plus rationnelle est celle de la cigarette laissée par mégarde dans le placard où le feu a pris naissance, mais ce n’est qu’une hypothèse. »

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Trompette Bernard Conrad (au centre), fin des années 1970.
(Collection Frédéric Conrad)

La famille Conrad qui compte cinq trompettes (Lucien, Félix, Charles, Pierre et Bernard) au régiment de cavalerie de la garde républicaine entre 1919 et 1982, a constitué durant cette période une importante collection de partitions musicales propres au répertoire des trompettes de la Garde. En 1973, Bernard Conrad sauve des poubelles du quartier des Célestins une cinquantaine de pièces pour fanfare de cavalerie provenant des archives de la musique de la garde républicaine. Par la suite, son fils Éric rassemble cette collection et l’enrichit notamment avec des manuscrits provenant des archives de Louis Prod'homme, trompette-major de la garde républicaine de 1911 à 1938. Trompette-major de la fanfare du 2ème régiment de hussards et de la fanfare principale de l’arme blindée cavalerie, Éric Conrad enregistre plus de cinq cent titres, enrichissant ainsi la discographie des fanfares de cavalerie. En 1999, à la dissolution de la fanfare principale de l’arme blindée cavalerie, l’ensemble de cette collection devait être déposé à la bibliothèque du musée de la cavalerie de Saumur. Cette éventuelle donation n’ayant pas retenue l’attention du commandement de l’école d’application de l’arme blindée cavalerie, elle est aujourd’hui la propriété de Frédéric Conrad, fils du capitaine trompette-major Éric Conrad.

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Fanfare principale de l'arme blindée cavalerie.
(Collection Frédéric Conrad)

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