Le manuscrit de Philidor, le 1er recueil de céleustique

par LTN (R) Thierry Bouzard, Docteur en histoire.

En 1705 Philidor, compositeur et garde de la bibliothèque de musique du roi, recueille dans un manuscrit la Partition de Plusieurs Marches et batteries de tambour tant françoises qu’Etrangeres… Il s’agit de la première véritable collecte de la musique en usage dans les armées françaises.

L’original est consultable à la Bibliothèque municipale de la ville de Versailles ICI et il est nécessaire de se référer au manuscrit en ligne.

Tout d’abord, il faut préciser qu’il n’existe pas encore d’orchestres militaires et les compositions réunies ici sont d’abord l’œuvre des compositeurs attachés aux formations musicales de la cour. Ce manuscrit a un autre intérêt tout à fait particulier rarement souligné. En effet, contrairement à une lecture faite par des musiciens, ce recueil concerne d’abord des signaux d’ordonnance, le répertoire utilisé pour transmettre les ordres. C’est la raison pour laquelle la première ligne musicale est réservée au tambour, usage inhabituel dans la musique d’harmonie. Les lignes mélodiques pour le hautbois ou le fifre ne sont que des accessoires esthétiques nullement indispensables au tambour. La batterie était exécutée communément sans cet accompagnement. Il faut donc interpréter les partitions du recueil de Philidor non comme des partitions de marches au sens moderne, mais bien comme les partitions des batteries en service dans l’infanterie de l’époque. D’ailleurs ce recueil comporte des pages blanches qui semblent destinées aux batteries manquantes. Ainsi, outre les batteries des régiments suisses et allemands, on constate qu’il existait des batteries spécifiques pour certains régiments comme les mousquetaires, le régiment du roy, les dragons du roy, les fusiliers, les grenadiers à cheval… Des pages blanches sont réservées à la Marche voualonne ou Les Bourguignons et à la Marche Escossoise indiquant que des batteries particulières étaient en service dans ces unités. Nous sommes donc en présence d’une grande diversité de batteries d’ordonnance dont il ne reste que ces traces manuscrites. Ce manuscrit est donc le tout premier répertoire de céleustique de l’armée française et donc exceptionnel à cet égard.

On y trouve la précision que la batterie de La générale a été composée par Lully en 1670. Ce qui correspond avec l’ordonnance du 10 juillet 1670 qui l’institue :

« Sa Majesté voulant pourvoir à ce qu’il n’arrive point de confusion dans les troupes d’infanterie à raison des différentes batteries de tambours et que lorsqu’un régiment commence à battre l’on sçache si toute l’armée, ou tout le corps d’infanterie devra marcher ou seulement le régiment qui battra : Sa Majesté a ordonné et ordonne, veut & entend, que lorsque dans une armée il y aura ordre de faire marcher toute l’infanterie, l’on commence à battre le premier par la batterie nouvellement ordonnée par Sa Majesté que l’on appelle la Générale ; pour le second, l’assemblée à l’ordinaire ; & puis dans le temps que les soldats sortiront de leurs huttes, la batterie qui a esté réglée pour l’entrée et la sorti du camp. »

Batterie La Générale, par Lully

Que le compositeur favori du roi ait été sollicité pour composer une simple batterie d’ordonnance illustre l’importance prise par la céleustique à cette époque et l’intérêt du roi pour les mouvements des troupes. Sous le règne de Louis XIV, l’armée prend un développement considérable. En 1610, elle ne comptait que 13 régiments d’infanterie. En 1666, le roi fixe l’ordre de préséance de ses régiments en commançant par ses quatre « vieux » issus des anciennes bandes (Picardie, Piémont, Navarre et Champagne). En 1701, l’armée royale comte 108 régiments. C’est dire l’importance des batteries d’ordonnance et de l’intérêt royal : il faut absolument éviter toute confusion dans la transmission des ordres.

Le Tambour-major des Gardes Française

Ce document confirme qu’il existe alors plusieurs répertoires de batteries d’ordonnance en service dans les régiments royaux. En effet, la normalisation des batteries en service dans l’infanterie est un problème récurrent sous Louis XIV. Plusieurs ordonnances avaient tenté sans succès de remédier à ce problème source de graves confusions, notamment en 1661, 1663, 1665 ou 1670. Ainsi il existait une Marche françoise, une Marche suisse, une Marche allemande, il est aussi fait état d’une Marche espagnole. Il n’a jamais été mis en évidence qu’il ne s’agit pas là d’une marche de défilé, mais que le terme signifie qu’il s’agit des batteries d’ordonnance utilisées dans les régiments correspondants.

Si les batteries de la Marche suisse, il est néanmoins possible de les retrouver car tous les régiments suisses utilisaient les mêmes batteries et le manuscrit de 1728, Recueil de coups d’ordonnance, auxquels les tambours de la partie allemande et romande du pays de Berne doivent se conformer et entraîner individuellement, contient 23 signaux notés sous la forme d’onomatopées. Ce système de notation était celui utilisé par les tambours, car ils n’étaient pas musiciens et apprenaient les roulements à l’imitation. Pour mémoriser ces différents battements, ils utilisaient des onomatopées que l’on retrouve dans certaines méthodes de tambour du XIXe siècle (Théorie pour apprendre à battre aux tambours, Marguery, Anselin, Paris, 1833) ainsi que dans celle de 1754.

Toutefois le manuscrit de Philidor n’a pas d’objectif réglementaire. Ce n’est pas un document militaire de référence, malgré son importance il n’est jamais cité dans les ordonnances qui concernent les batteries.

Lien vers « Inventaire de Philidor »

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