Les écoles de trompette

par Axel Chagnon

Durant près d'un siècle, les régiments de cavalerie ont bénéficié, avec plus ou moins de suivi, d'une école de trompette. Ces élèves recevaient des cours de musique, et devenaient de véritables musiciens d'ordonnance. Malgré l’existence d’écoles de fifres, tambours et cornets, l’école des trompettes fait exception pour la durée de son existence.

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➜ « Uniformiser les sonneries »
➜ Une structure instable
➜ L’école de trompette de Saumur
➜ Dissolution de l’école

« Uniformiser les sonneries »

La première école militaire de trompette fut créée par ordonnance du roi Louis XV du 1er juin 1731 à l'Hôtel royal des Invalides, le règlement de cette école a été établi par le règlement du 7 du même mois. Un maréchal-des-logis était chargé de veiller à la discipline, et l'école était dirigée par un maître-trompette et un aide-maître-trompette, pris parmi les invalides de l'Hôtel.

Les 20 premiers régiments de cavalerie devaient envoyer chacun un élève, âgé entre 18 et 30 ans. Il était logé, nourri, blanchi comme les autres pensionnaires de l’institution. Lorsque la formation était terminée, il rentrait dans son régiment respectif, et les 20 régiments suivant envoyaient à leur tour leur élève. Lorsque tous les régiments étaient passés, on recommençait le processus avec de nouveaux élèves. Cela permettait de faire face au nombre restreint d'instructeurs, tout en évitant de dégarnir les régiments, et un entretien coûteux des nouveaux élèves.

L’école se tenait tous les jours sauf les dimanches et jours de fêtes ; le matin de 7h à 11h, puis l’après-midi de 14h jusqu’à 18h. Les trois premières heures servaient à sonner, et la dernière aux leçons de solfège. Le maître-trompette fournissait à chaque écolier un livre de musique sur lequel étaient notées les sonneries d’ordonnances ainsi que trois fanfares. Cette école s’est maintenue jusqu'au règne de Louis XVI, avant d’être transférée à Strasbourg. N'étant plus suivie de manière régulière, on en prononça la suppression le 17 mars 1788.

Une structure instable

La Convention établit une nouvelle école particulière à Paris par un décret du 14 brumaire an II (4 novembre 1793), prenant le titre d’école nationale des trompettes. Elle était composée de 100 élèves sous la surveillance d'un commandant, ayant sous ses ordres un maréchal-des-logis, choisi parmi les gradés employés ou retirés avec pension, et ayant servi dans la cavalerie. Quatre prévôts étaient chargés de l'instruction proprement dite. Ayant obligatoirement entre 16 jusqu'à 18 ans, les élèves recevaient une solde de cavalier. Les leçons duraient de 9 h à midi, puis de 14h à 17h. On apprenait non seulement à sonner, mais aussi à monter à cheval, à lire et à écrire.

En l’an V, le Directoire réduisit les effectifs à 50 élèves, avec un commandant, deux prévôts-instructeurs, deux maréchaux-des-logis, un officier de santé, un maître d’écriture et un portier. Le manège et les chevaux furent supprimés, et le 13 nivôse an VII (2 janvier 1799), l’école fut transférée à Versailles, prenant la dénomination d’école nationale de musique militaire. On y apprenait le cor, le basson la clarinette et tous les autres instruments à vent employés dans les musiques militaires. Le nombre d'élèves monta de nouveau à 100. Le 27 vendémiaire an IX (19 octobre 1800) l’école fut rattachée à l’école d’instruction des troupes à cheval de Versailles, gardant la même organisation mais passant à 125 élèves, aux mains de deux instructeurs. La surveillance des deux écoles était assurée par le même officier général commandant en chef, doté d'un second.

Le 14 ventôse an XI (5 mars 1803), l’école nationale de musique militaire reprit la dénomination d’école de trompette, retombant à 60 élèves, exclusivement choisis parmi les enfants de troupes de 16 à 18 ans, formés en compagnie, et soumis aux règles du service militaire. L'instruction durait deux ans, au maximum. Les postes d'instructeurs de cor, de basson et de clarinette attachés à l’école ainsi que deux des six instructeurs de trompettes furent supprimés. Les élèves formés en compagnie furent soumis aux règles du service militaire.

Le 8 mars 1809, l'école fut encore transférée à l'école spéciale de Saint-Germain, dont elle forma une section avant d'être supprimée de nouveau, le 30 juillet 1814.

L’école de trompette de Saumur

L'ordonnance royale du 5 novembre 1823 créa deux nouvelles écoles à Versailles, une d'application de cavalerie et une de trompette placée sous la direction d'un capitaine, et composée de quatre trompettes maréchaux-des-logis en guise d'instructeurs, de quatre maréchaux-des-logis chargés de la surveillance, d'un professeur de mathématiques, d'un maître d'écriture, de lecture et d'arithmétique, le tout sous les ordres du colonel commandant l'école d'application de cavalerie.

Chaque régiment de cavalerie devait y envoyer un élève montrant le plus de dispositions. Les élèves avaient deux ans pour apprendre les connaissances musicales propres à former des brigadiers-trompettes et des maréchaux-des-logis-trompettes. S'ajoutaient des leçons d'écriture, de mathématiques et d'équitation.

Par ordonnance du 11 novembre 1824, les deux écoles furent réunies et envoyées à Saumur. L'organisation fut modifiée par l'ordonnance royale du 10 mars 1825, devenant ainsi l'école royale de cavalerie. L'école des trompettes n'était qu'une école particulière, annexe de l'établissement. Elle formait le 3e escadron, qui comprenait aussi les maréchaux-ferrants ! Le tout était placé sous le commandement du général Oudinot.

ordonnances

Le 3e escadron n'étant pas destiné à donner aux corps de l'armée des sous-officiers instruits, celui-ci était moins bien considéré que les deux premiers. Par exemple, depuis 1826 et malgré les insistances des commandants de l'école les épaulettes portées par les cavaliers français furent régulièrement refusées aux élèves-trompettes par le Comité consultatif de cavalerie. C'est par l'entremise du vicomte Grouvel, lieutenant général de cavalerie, proche du Ministre de la Guerre, que la 1ère classe eût le droit en 1833 de porter l’épaulette rouge.

En 1826, il y avait 72 élèves-trompettes, puis 100 en 1828, avant de redescendre à 80 suite à la suppression des 6e escadrons des régiments de cavalerie. Les élèves se recrutaient parmi les enfants de troupes de toutes armes et parmi les enfants des militaires du corps de la gendarmerie, les uns et les autres âgés de 15 à 17 ans. Mais il était courant que des enfants plus jeunes fussent incorporés. En cas d'insuffisance des deux modes de recrutement, des jeunes civils sachant lire et écrire, pouvaient être admis avec le consentement de leur père, mère ou tuteur.

Les élèves devaient être en bonne condition physique. Ils devaient posséder

« toutes leurs dents, mais aussi qu'elles soient saines, régulièrement placées et rangées dans la bouche, sans excès de longueur ni de séparation pour ne pas laisser échapper l'air nécessaire à l'émission du son dans la trompette. »

Les lèvres devaient être « saines, entières, sans excès de grosseurs ni flaccidité ». Quant à la poitrine, elle devait être « large, sonore. » Enfin les régions ombilicale et inguinales ne devaient présenter « aucune trace de hernie, ni de prédisposition à ce genre d'affection, que la trompette tend à aggraver ou à développer ». Le certificat d'aptitude devait aussi mentionner s'ils n'étaient atteint d'aucune maladie contagieuse ou infirmité, et avaient eu ou non la petite vérole ou avaient été vaccinés.

A leur sortie d'école lors de leur dix-huitième année, les élèves trompettes devaient contracter un engagement, ou servir comme musicien gagiste pendant trois ans.

En 1841, sur 74 élèves-trompettes, 15 seulement étaient en état de servir dans un régiment de cavalerie, alors que l’effectif maximum autorisé pour l’école était de 80, ce qui était insuffisant pour subvenir aux besoins de la cavalerie. Cette pénurie s'explique par les départs anticipés, soit pour intégrer la musique et les escadrons de cavalerie nouvellement créés, soit pour satisfaire les besoins de la cavalerie d'Afrique. En 1827 et 1828, l'école faisait encore défaut en ne fournissant que 58 trompettes au lieu des 112 nécessaires, forçant les régiments de cavalerie à se fournir auprès du Gymnase musical pour faire l'appoint.

En 1842, le directeur de l'école demande à ce qu'à la fin de la scolarité, les élèves puissent choisir leur place dans les régiments de cavalerie, suivant leur position dans le classement final ; ceci pour contrer les colonels des régiments qui prétendaient choisir leurs élèves quel que soit leur classement.

Une ordonnance royale du 7 novembre 1845 réorganise le fonctionnement de l'école, sans entraîner de réels changements.

Dissolution de l’école

En 1850, un rapport au Président de la République fait état des mauvais résultats de l'école, la plupart des élèves refusant finalement de s'engager, l'instruction acquise ne profitait guère qu'au monde civil. On décida donc de la suppression de ce 3e escadron. Non liés au service, 23 élèves demandèrent à rentrer dans leur famille. Deux élèves liés au service qui n'étant pas susceptibles de servir comme trompettes dans l'armée furent dirigés en tant que 2e classe sur le 7ème régiment de Chasseurs, le plus proche de Saumur. Les élèves formés et susceptibles de faire de bons trompettes, ont été admis à choisir leur régiment selon leur ordre de classement. Enfin, le reste continua sa carrière en qualité d'enfants de troupe dans les régiments désignés par le Ministre de la guerre.

A la place de l'escadron se forme une musique semblable à tous les régiments de cavalerie basée sur le nouveau système des instruments d'Adolphe Sax ; et placée sous les ordres de l'ancien adjudant maître de musique Brick, devenant ainsi trompette-major, grade inférieur à celui d'adjudant. Mais exceptionnellement, il gardera son grade ainsi que sa solde. Vingt élèves, choisis parmi ceux qui avaient le plus d'aptitude et de moralité, furent maintenus comme trompettes de l'école. Sur ce nombre, sept n’étaient pas liés au service et s'engagèrent dès leur 17 ans. Six étaient enfants de troupes, dont cinq agés de moins de 15 ans.

Les brigadiers-trompettes demandèrent à rester afin de pouvoir, ou partir dans un régiment, ou retourner dans le civil en attendant leur fin de contrat. Cette musique de cavalerie fut supprimée au même titre que toutes les autres de la cavalerie en 1867, et on forma une fanfare de cavalerie. Les trompettes reprirent le grade d'élève-trompette sans en être réellement des élèves.

Il existait un manuel intitulé Des principes élémentaires de la musique, à l'usage des élèves-trompettes de l'école royale de cavalerie, par l’imprimeur Degouy. Malheureusement aucun exemplaire ne semble nous être parvenu.

Malgré un certain dénigrement des gouvernements, les écoles de trompette se sont maintenues, avec plus ou moins de succès, pendant près d’un siècle. Censées assurer une uniformité des sonneries dans les différents régiments, elles ont permis le développement d’une technicité, d’un son unique. Longtemps admirées aussi bien en France qu’à l’étranger, les sonneries d’ordonnance de cavalerie, les fanfares de trompettes, sont en voie de disparition. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une véritable fanfare de cavalerie : la fanfare de la Garde Républicaine de Paris, les autres ayant incorporé des instruments d'harmonie.


SOURCES :
SICARD, M. F., Histoire des institutions militaires des français, Tome III, 1834.
LEDRU-ROLLIN, sous la direction de M., Journal du palais: Répertoire général, contenant la jurisprudence de 1791 à 1846, Volume 6, 1846.
SAINTE-CHAPELLE, L'armée et la patrie, 3e Partie, 1821.
Archives du Service Historique de la Défense, carton XO 23.