La légion de la garde républicaine
lors des émeutes du 6 février 1934
par Éric Conrad.
Les détachements de la garde républicaine requis par le préfet de police se montèrent d’abord à huit cent cinquante officiers, gradés et gardes, dont cinq cent vingt fantassins et trois cent trente cavaliers, envoyés en différents points de la capitale ; dans la soirée, le nombre de militaires de la légion en service fut porté à mille cent vingt-cinq. À partir de dix-sept heures, des manifestants se rassemblent sur la place de la Concorde - qui avait été laissée libre - face au Palais Bourbon ; ils sont bientôt plusieurs milliers. Par suite des dispositions prises par la direction de la police municipale, un détachement de quatre-vingts gardes à pied et un peloton de vingt-cinq gardes à cheval défendent, seuls d’abord avec des gardiens de la paix, le pont de la Concorde, dont ils ont mission d’empêcher le passage par les manifestants. Ils sont renforcés successivement sur la place et aux abords par sept pelotons de la garde à cheval et plusieurs détachements à pied de garde républicaine de Paris, de garde républicaine mobile et de gendarmerie.
À partir de dix-sept heures trente les manifestants, très excités, criblent de projectiles divers le service d’ordre et tentent de franchir le pont. La place de la Concorde est le théâtre de graves incidents entre les manifestants et les détachements du service d’ordre. Vers une heure seulement, le 7 février, le calme se rétablit. Vers trois heures, les détachements quittent le terrain. En d’autres points de la capitale, notamment autour du Palais Bourbon, de l’Élysée et aussi sur les grands boulevards, le contact entre les manifestants et le service d’ordre avait été rude. Deux cent soixante-dix officiers, gradés et gardes avaient été blessés, dont quarante-deux transportés à l’infirmerie et à l’hôpital. Le total des blessés du mois de janvier, du 6 février et des jours qui suivirent se monta à deux cent quatre-vingt-cinq. Le régiment de cavalerie compta cent vingt chevaux blessés (trois durent être abattus, trois eurent un œil crevé). Le 9 février meurt à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce le garde Flandre du 3e escadron, l’un des blessés de la place de la Concorde. Ses obsèques solennelles, aux frais de la ville de Paris, ont lieu le 13 février en présence des représentants des pouvoirs publics. Il y eut dans la foule des tués et des blessés.
Dès le lendemain du 6 février, une certaine catégorie de journaux s’emparent de l’affaire de la Concorde pour la grossir en dénaturant les faits. Dans des articles tendancieux, ils accusent les gardes, les gardes mobiles et les gendarmes d’être responsables de la mort des victimes. Des incidents provoqués par cette campagne de presse se répètent pendant plusieurs mois : des militaires de la légion de la garde sont pris à partie par des personnes appartenant à certains groupements. Une commission parlementaire est chargée de faire la lumière sur les faits. Dans son rapport général, le rapporteur constate la mauvaise organisation et la direction défectueuse par les chefs de la police, et relativement à l’exécution du service, s’exprime ainsi qu’il suit :
« Le gouvernement de la République ne peut qu « être fier du loyalisme, du légalisme, de la fidélité qui lui furent témoignés, dans la malheureuse journée du 6 février, par ceux qui — gardiens de la paix, gardes républicains de Paris, gardes républicains mobiles et gendarmes — avaient le devoir rappelé en consigne par le préfet de police, d'empêcher l'insurrection d'atteindre le Palais Bourbon où siégeaient les élus de la nation ».
Des récompenses ont été attribuées : l’adjudant Dutrouilh du 3e escadron, a été fait chevalier de la légion d’honneur ; les maréchaux des logis chefs Rébillat, Turpin, Chameau et les gardes Candevan (1er escadron), Le Formai et Prades (4e compagnie) ont reçu la médaille militaire. En outre, ont été cités trois officiers à l’ordre de la région avec mention au bulletin officiel ; cent douze officiers, gradés et gardes à l’ordre de la région ; cinquante-six gradés et gardes à l’ordre de la légion. Deux cent soixante-deux officiers, gradés et gardes ont été félicités par le colonel. à la suite de ces événements, la garde républicaine a reçu à la caserne des Célestins la visite de ministres.

(Collection Frédéric Conrad)
Le 11 février 1934, le maréchal Pétain, ministre de la guerre, s’est fait présenter les blessés du 6 février et les officiers de la légion. Le 11 novembre de la même année, à l’occasion de la prise de ses fonctions, monsieur Régnier, ministre de l’intérieur, en présence des officiers, gradés et gardes, a assuré la garde républicaine de son estime et de sa confiance.
Enfin, le 24 janvier 1935, le général Maurin, ministre de la guerre, accompagné du général Gouraud, gouverneur militaire de Paris, du général Billotte, inspecteur général de la gendarmerie, des généraux Mieger, Moinier et Lanois, a présidé une prise d’armes au cours de laquelle la médaille militaire a été remise à la veuve du garde Flandre. Des détachements à pied et à cheval des trois subdivisions d’armes participaient, sous le commandement du colonel Ribaux, à cette cérémonie où, pour la première fois, se trouvaient réunis les cinq drapeaux et étendards de la gendarmerie.
Dans son ouvrage Le 6 février Philippe Henriot précise que :
« ... Depuis dix-sept heures, la foule, et particulièrement les éléments de désordre dont la présence est indéniable et ne pouvait, hélas, être empêchée, attaque çà et là les gardes et la police. Elle jette des pétards dans les jambes des chevaux et par endroits sème des billes sur l’asphalte pour les faire glisser. Des apaches, dont les gestes serviront ensuite à déshonorer tous les manifestants et même les anciens combattants, se livrent à des jeux hideux : avec des rasoirs au bout de leurs cannes, ils coupent les sangles des chevaux, tentent de leur trancher le jarret, frappent les hommes aux mains et au visage. Mais ce sont là faits isolés. Monsieur Chamvoux, député de Toul et vétérinaire, que la commission d’enquête chargera de l’examen des chevaux blessés, déclarera n’en avoir trouvé que neuf qui aient été ainsi mutilés. Les morceaux de fonte brisés et jetés à la tête des gardes sont aussi une des armes favorites de la population exaspérée. Un témoin écrira qu’à certains moments, ces projectiles pleuvaient de telle manière que les « casques faisaient un bruit de batterie de cuisine... » ... Cependant - il est à ce moment-là près de dix- neuf heures, - la colonne de la Solidarité Française débouche de la rue Royale. C’est le moment où éclate tout à coup la sonnerie des trompettes de la garde, - cette « sommation » dont la presse illustrée a reproduit un document photographique qui à beaucoup paraît convaincant. Or, nul n’a nié que ces sommations-là aient été faites. Mais elles n’annonçaient que la charge. La charge a lieu en effet en éventail pour disperser la foule trop dense. Les cavaliers reviennent aussitôt à leur poste... »

(Collection Frédéric Conrad)
Place de la Concorde, le trompette Félix Conrad du 3e escadron de la légion de la garde républicaine de Paris sonnera les sommations d’usage avant chaque charge. à vingt-trois heures trente, en chargeant sur cette même place, il sera blessé par des projectiles (atteint de contusions multiples). Sa jument Totalité, également blessée, sautera in extremis une bouche d’aération du métropolitain dont la grille avait été retirée.



Enregistrées par la musique de l'arme blindée cavalerie,
direction Thierry Graff
et la musique des sapeurs-pompiers de Paris,
direction Dominique Fiaudrin.