La position de la trompette de cavalerie
par Pierre Conrad.

(Collection Frédéric Conrad)
Pierre Conrad était bien placé pour répondre à cette question. Engagé dans l’armée d’armistice le 6 juin 1941 au 5e régiment de dragons montés à Mâcon, il termine brigadier-chef et est libéré en novembre 1942 au moment de l’invasion de la zone libre par l’armée allemande. Il demande alors à servir au régiment de cavalerie de la garde républicaine de Paris où il est admis le 3 août 1943 et, après un stage de six mois, affecté au dressage des jeunes chevaux. Il participe à l’entraînement des chevaux de course et aux compétitions sportives militaires pendant trois ans. Des raisons de santé l’obligent à cesser les compétitions et il demande la fanfare de cavalerie en 1950. C’est dans cette brillante phalange que Pierre Conrad fait le reste de sa carrière comme deuxième trompette jusqu’en août 1969, date à laquelle il demande sa mise à la retraite.
Dans cet article, j’essayerai de répondre à une question qui m’a été posée sur la position de la trompette aux lèvres, lorsque le cavalier à cheval joue aux trois allures de sa monture (pas, trot, galop). Ayant servi pendant près de vingt ans comme trompette, ainsi que mes frères Charles et Bernard à la fanfare du régiment de cavalerie de la garde républicaine de Paris, il m’est assez facile d’en parler. Mais avant de voir ces différentes positions, il conviendrait d’abord d’expliquer la façon de tenir convenablement une trompette de cavalerie.
Il faut bien dire qu’un cavalier jouant d’un instrument sur un cheval, en mouvement, parfois plus ou moins calme, sur des configurations de terrain variables, n’est pas assis dans un fauteuil. Et pour maintenir son instrument au contact permanent au milieu de ses lèvres, et non sur le côté comme le cliquard, il lui faut, pour l’aider, un amortisseur travaillant dans tous les sens. Ce rôle est tenu par la main droite ; placée au milieu de la trompette, elle équilibre le poids de celle-ci, et plus particulièrement c’est l’auriculaire qui, lui, étant placé sous l’instrument, permet, en le relevant ou en l’abaissant, de rechercher la position souhaitée, selon les mouvements du cheval sans fatiguer le poignet. Une trompette, tenue à pleine main, ne peut être maintenue droite qu’un court instant, et encore moins si le pavillon est dirigé vers le ciel, le poignet étant alors trop cassé, comme certaines peintures les représentent, d’autant que dans la plupart des cas, les instruments sont tenus trop près de l’embouchure. Passe encore pour une petite trompette de l’Empire, mais pour de grandes et lourdes trompettes à boule de l’Ancien Régime, il est pratiquement impossible de jouer efficacement en tenant l’instrument de cette façon. Ajoutons qu’il faut également tenir compte de la conformation de la bouche et de la dentition de chaque individu. Pour bien appliquer l’embouchure aux lèvres, les trompettes seront inclinées différemment d’un musicien à l’autre. Il est très facile de s’en rendre compte lorsque l’on regarde défiler les musiques ou fanfares, en prenant chaque rang en enfilade. Je n’ai pas connaissance d’un règlement faisant état de la position exacte de l’instrument. A savoir si la petite branche est à gauche, ou à droite reposant sur le dessus de la main. Il me semble que cela varie suivant les trompettes-majors. Je peux dire que de mon temps, la petite branche était à gauche, et que depuis le changement de direction à la fanfare de la Garde en 1969, la petite branche est à droite et repose sur le dessus de la main. Position plus confortable, surtout quand l’instrument est habillé d’une flamme de parade, et qu’il est tenu par une main gantée de nylon.
Il n’y a qu’une façon de jouer. La position reste la même aux trois allures, l’inclinaison de la trompette suivant celle du corps.

Position adoptée par les trompettes du régiment de cavalerie de la garde républicaine de Paris en 1969.
On remarquera l'auriculaire positionné sous la branche de la trompette.
(Collection Frédéric Conrad)
A l’arrêt ou au pas, la chose est assez facile. Le corps du cavalier étant bien assis, placé droit dans sa selle, la position de l’instrument est sensiblement horizontale suivant les individus.
Au trot, c’est déjà un peu plus difficile. Le trompette ne peut jouer qu’au trot enlevé, allure sautée à deux temps où le cavalier se lève sur les étriers toutes les deux battues. Cette manière de trotter permet de jouer des morceaux d’un rythme à deux et quatre temps. Défilés au trot généralement. Le corps étant, dans cette position au trot enlevé, légèrement porté vers l’avant, il va de soi que les instruments se trouvent également inclinés vers le bas. Quant au trot assis, la répercussion des secousses serait nuisible à une bonne exécution, et les lèvres seraient vite abîmées.
Au galop, il en est de même qu’au trot. Le cavalier étant dressé en équilibre sur les étriers afin de ne pas ressentir les à-coups de cette vive allure, la trompette est généralement dirigée vers le bas, et à droite de l’encolure pour éviter ainsi les coups que pourrait provoquer un faux mouvement dû à un accident de terrain, et causer des dommages à la dentition du cavalier. Il faut bien dire qu’à cette allure, jouer de la trompette n’est pas facile. La respiration ainsi que le rythme cardiaque se trouvent modifiés, et les sonneries sont rarement d’une exécution parfaite.
Je ne crois pas que les trompettes sous l’Empire jouaient souvent au galop. « La charge », cette sonnerie, se jouait quand les escadrons rangés en bataille étaient encore au trot, avant de s’ébranler dans un galop infernal. Ensuite, les commandements étaient criés. Il m’est arrivé personnellement de sonner du galop plusieurs fois, à diverses prises de vue cinématographiques, au cours du tournage du film Napoléon de Sacha Guitry, pour lequel la garde de Paris avait prêté son concours, en envoyant deux escadrons montés. Cela se passait sur le plateau de Caussol au-dessus de Grasse et j’y jouais le rôle d’un trompette des chasseurs à cheval de la garde impériale. Il faut dire que les sonneries que l’on entend dans le film ont été enregistrées à l’arrêt et à pied. Heureusement d’ailleurs, car celles faites sur le terrain bosselé rempli de plaques rocheuses dépouillées d’herbe, en plus de l’affolement des chevaux produit par l’éclatement des fumigènes, simulant les impacts des tirs ennemis, n’auraient pas été audibles, la qualité de l’exécution laissant quand même à désirer.