Requiem pour un patrimoine défunt


par le Colonel Thierry Noulens.


Le patrimoine musical de la cavalerie française a disparu sans doute à jamais dans l’armée de Terre française. Pourtant, celui-ci était intrinsèquement lié à l’esprit cavalier dont il était l’une des expressions les plus éclatantes. La disparition des instruments réglementaires naturels en mib et des instruments à percussion propres à l’Arme dans les fanfares régimentaires est loin d’être le fruit de décisions d’un commandement qui aurait voulu faire tabula rasa d’un passé lointain et prestigieux. Au mieux est-il celui de son désintérêt, de son ignorance ou de sa naïveté face à la roublardise de techniciens militaires qui, par calcul d’intérêt et ambition personnelle, ont imposé leurs prétentions musicales.

Il a fallu une trentaine d’années pour en arriver là, et le résultat est affligeant. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir une trompette d’ordonnance, seul instrument réglementaire prévu par les textes, remplacée par une trompette d’harmonie dans la constitution d’un piquet d’honneur. Des instruments d’harmonie, parfois même des flûtes, des clarinettes ou des cornemuses (bientôt des accordéons ou des guitares ?) remplacent les trompettes de cavalerie, les trompettes-cors, basses ou contrebasses, seuls instruments conformes aux traditions de la cavalerie et autorisés par les règlements. Des tambours d’infanterie ont même fait leur apparition dans des fanfares de cavalerie qui ne devraient compter que des caisses claires ou des tarolles, toujours selon la tradition et les textes en vigueur. En outre, bon nombre des instruments d’harmonie sont joués par des réservistes citoyens présents sur les rangs dans une tenue militaire, parfois mal portée, ce qui est contraire à leur statut et aux directives du commandement de l’armée de Terre, tout comme l’emploi d’instruments personnels lors des cérémonies.

La revue des troupes est passée dans les régiments de cavalerie, non pas au son d’une marche de cavalerie ou de la fanfare personnelle du chef de corps mais sur des musiques d’infanterie jouées par des instruments d’harmonie. Même le Père de l’Arme, pourtant garant du maintien des traditions, n’a d’autre choix que de se plier aux exigences des musiciens et de passer les troupes en revue au son de mélodies d’harmonie sous le prétexte cauteleux qu’elles sont plus solennelles. Ces mélodies compassées, insipides et sans âme ne reflètent en rien l’esprit qui devrait animer les cavaliers du XXIe siècle.

La tradition est perdue, les règlements sont bafoués. A l’exception notable de celle du 1er RHP qui a su conserver ses instruments naturels traditionnels, il n’y a plus de fanfare de cavalerie dans les régiments. Elles ont fait place à des espèces de petites harmonies formées de musiciens amateurs comme celles que l’on rencontre dans les petites communes rurales partout en France. Elles ne sont l’expression ni de la tradition militaire ni, encore moins, de celle de la cavalerie blindée. Il vaudrait sans doute mieux désormais les dénommer fanfarmonie régimentaire, appellation ridicule mais tellement plus conforme à la réalité.

Une fanfare de cavalerie n’est ni une musique militaire composée théoriquement d’une batterie-fanfare et d’une harmonie, ni une batterie-fanfare composée essentiellement de tambours, de clairons et d’instruments d’harmonie en cuivre que l’on trouve dans l’infanterie ou le génie. Il s’agit d’une spécificité de la cavalerie que nous avons hérité de nos anciens et que nous n’avons pas su, ou pas voulu, transmettre à la jeune génération de cavaliers.

Or, un héritage est tout. Si l’on renonce à nos traditions musicales, pourquoi, dans ce cas, ne pas renoncer également aux hongroises sur les bérets de nos hussards, aux burnous de nos spahis, aux épaulettes rouges de nos cuirassiers, aux tougs sur nos fanions ou à nos gardes à l’étendard à cheval ? Si nous les conservons avec une légitime fierté c’est parce qu’ils sont la marque non seulement de notre histoire, mais également de nos spécificités. Or la composition et le répertoire de nos fanfares ont été pendant plus d’un siècle une singularité de la cavalerie dans l’armée de Terre, comme le Bagad de Lann-Bihoué, qui, quant à lui, respecte scrupuleusement ses traditions musicales, est une singularité de la Marine. Pour bien comprendre l’incongruité de la situation, un rappel historique s’impose.

La trompette de cavalerie, instrument naturel en mi bémol apparu au XVe siècle en Allemagne, est le plus ancien instrument en cuivre de l’armée de Terre. Sous Louis XIV, elle était aussi bien utilisée à la cour que par les unités de cavalerie dont les compagnies pouvaient compter jusqu’à sept cavaliers-trompettes. Leur rôle sur le champ de bataille était de transmettre les ordres de leur chef qu’ils suivaient partout. Lors des marches, ils marchaient en tête de l’unité devant lui, souvent accompagnés d’un timbalier. Ils étaient des combattants au même titre que les autres cavaliers mais, afin de pouvoir être identifiés rapidement au milieu de la fumée du champ de bataille, ils portaient une tenue différente de celle de la troupe. Sous la monarchie, cette tenue était à la livrée du roi, du prince ou du mestre de camp propriétaire. Sous la Révolution le galon la livrée du roi, qui s’était généralisé sous le règne de Louis XV, fut remplacé par celui de livrée nationale tricolore qui, à son tour fut remplacé par celui de la livrée impériale en 1812. Le galon de livrée tricolore ne fut rétabli que sous la monarchie de juillet pour être conservé jusqu’à nos jours. Il devrait donc être normalement porté par tous membres des formations musicale régimentaires de la cavalerie blindée, ce qui semble s’être parfois perdu.

En plus de transmettre les ordres sur le champ de bataille, les trompettes devaient sonner les sonneries dites « de quartier » qui rythmaient la vie quotidienne des unités, et sonner lors des revues ou des parades. Sous la Révolution, la trompette de cavalerie qui était, jusqu’alors repliée en double tour avec une boule placée sur le tuyau supérieur pour en faciliter la préhension, fut progressivement abandonnée. Elle fut remplacée par une trompette repliée en deux tours pour en diminuer la longueur et la rendre plus maniable. Ce modè le de trompette devint dès lors la trompette d’ordonnance qui est toujours en usage en France.

En 1803, les sonneries d’ordonnances furent définies officiellement pour la cavalerie. David Buhl (1781-1860) en composa la plupart à partir de celles déjà existantes. Il y apporta son style « au travers de cellules rythmiques de division ternaire qui se traduisent par le recours au staccato, appelé également triple coup de langue ». L’art du staccato, ou « coup de langue du trompette », est la marque traditionnelle des sonneries de la cavalerie française. Elles sont de ce fait très enlevées et répondent bien à l’esprit cavalier. Une trompette d’harmonie, dont le timbre est très différent et qui ne permet pas de jouer « écourté », ne peut en aucune façon les exécuter correctement. Cet instrument ne doit donc, en aucun cas, être utilisé pour un piquet d’honneur.

Les sonneries d’ordonnance connurent quelques évolutions puis elles furent définitivement fixées par le décret du 31 mai 1882 qui précisait que chacune d’entre elles devait être précédée du refrain du régiment lorsque les circonstances l’exigeaient. L’instruction de 1912 reprit les termes de ce décret en définissant 45 sonneries pour la cavalerie réparties en trois groupes distincts :

Sous l’Empire, certains colonels de cavalerie recrutèrent des musiciens pour former une musique régimentaire, en plus des 16 trompettes que comptaient alors les régiments. Ces musiques, composés de gagistes non-combattants recrutés dans le civil n’avaient aucune fonction opérationnelle et encombraient plus le régiment en campagne qu’elles ne lui rendaient de service.

Malgré cette première expérience décevante, la France traversant une longue période de paix, une nouvelle tentative fut lancée de former des musiques dans la cavalerie sous la Restauration. L’initiative en revint aux colonels qui voulaient donner plus d’éclat à leur régiment en payant parfois de leurs propres deniers les frais d’entretien de ces musiques que le ministère de la Guerre ne voulait pas assumer.

Au début de la Monarchie de Juillet, le commandement se montra très insatisfait de la situation qu’avait provoqué l’apparition de ces formations musicales d’un nouveau genre qui n’avaient de militaire que le nom. Les colonels, qui n’étaient pas musiciens, avaient laissé une trop grande latitude à leur chef de musique. Or, ceux-ci n’avaient pour seul dessein que de mettre en avant leur virtuosité en exécutant des morceaux de leur composition avec des instruments qui n’avaient plus rien de militaires. Les chefs de musiques les faisaient acheter en fonction des œuvres qu’ils composaient ou pour favoriser tel ou tel facteur de leurs amis. Les musiques ne servaient donc que la gloire et la satisfaction personnelles de musiciens peu soucieux de remplir leur devoir militaire et trop heureux d’avoir trouvé un mécène à si bon compte. Une commission se réunit alors pour mettre un terme ces fâcheuses dérives. Le statut de gagiste fut supprimé en 1834 pour être remplacé par celui de commissionné. Les instruments en bois (flûtes, clarinettes, hautbois, bassons, etc.) furent rigoureusement interdits.

Mais la réforme fut suspendue en 1848 avec la chute de Louis-Philippe. Sous le second Empire, sous l’influence de certains facteurs d’instrument comme Adolphe Sax, les musiques furent rétablies dans la cavalerie en 1854. Mais, avec la réapparition de la guerre en Europe, le maréchal Niel, conscient que la présence d’une musique dans un régiment de cavalerie était non seulement un luxe inutile, mais encore une nuisance pour le service, décida de les supprimer par le décret du 4 avril 1867. Il avait bien conscience que cette mesure serait mal vécue notamment par les boutiquiers des villes de garnison qui faisaient un bon chiffre d’affaires lors des concerts dominicaux, mais également par la population de ces mêmes villes. Cependant, il lui sembla que les motifs qui l’avait poussé à supprimer ces musiques étaient amplement justifiés :

« Dans les régiments de troupes à cheval, où les musiciens sont nécessairement montés, l’amélioration des musiques a été obtenue au détriment du service. Dans ces corps, auxquels le budget n’accorde qu’un nombre limité de chevaux, les musiques absorbent non seulement des hommes qui ne font pas le service de garnison en temps de paix, et qui ne combattent pas en temps de guerre, mais encore des chevaux dont la répartition dans les rangs permettrait de monter des combattants qui sont actuellement à pied. J’ajouterai que les dimensions et le poids de bon nombre des instruments actuellement en usage dans les régiments doivent nécessairement nuire à la mobilité du corps de troupe, et qu’en campagne, ils doivent inévitablement, au bout de trè s peu de temps, être faussés et détériorés, ce qui entraîne la prompte désorganisation des musiques. »


Malgré les protestations des facteurs d’instruments et de certains musiciens civils qui voyaient leurs intérêts compromis, cette décision fut sans appel. Après la désastreuse guerre franco-prussienne, en octobre 1872, il fut accordé 6 musiciens aux régiments de cavalerie qui, cependant, ne rétablirent pas de musique d’harmonie tant cela était peu compatible avec le service à cheval. Le nombre de trompettes fut fixé à quatre par escadron et deux pour le dépôt, sans compter les élèves-trompettes. Ils furent tous placés sous la direction d’un trompette-major, assisté d’un brigadier-trompette qui, tous deux, appartenaient à l’état-major du régiment.

Le trompette-major devait assurer l’instruction musicale des trompettes qui pouvaient être réunis pour les prises d’arme sous sa direction. Les fanfares de cavalerie étaient nées. A partir de 1902, il fut décidé de doter certains trompettes de trompettes basses, puis de trompettes-cor et d’hélicons (trompettes-contrebasses). Les percussions firent également leur apparition. Certains régiments se dotèrent de timbales ou de tarolles que l’on pouvait battre à cheval.

Il fut écrit, à partir de cette époque, un volumineux répertoire pour les formations d’instruments naturels en mi bémol. Ce patrimoine musical propre à la cavalerie française s’enrichissait régulièrement grâce aux talents de certains trompettes-majors qui composaient des marches ou des défilés pour leur régiment, et des fanfares personnelles pour leur chef de corps. Ainsi, les fanfares de cavalerie se développèrent avec succès en rythmant la vie des régiments et en contribuant à l’édification de l’esprit cavalier.

Ni les deux grands conflits mondiaux, ni la guerre d’Indochine, ni celle d’Algérie ne remirent en cause la composition de ces fanfares auxquelles les cavaliers étaient très attachés. Après la Premiè Guerre mondiale, les trompettes furent conservés dans les régiments motorisés où ils servaient souvent comme agent-motocyclistes. De nouveaux instruments firent leur apparition pour permettre aux cavaliers de défiler à pied : des caisses claires (jamais de tambour), une grosse caisse et des cymbales pour les percussions, et le soubassophone et le tuba commencèrent à remplacer l’hélicon qui était moins puissant mais qui était encore en service pendant la guerre Froide. Ces nouveaux instruments ne modifièrent pas fondamentalement le style propre de la tradition de la cavalerie.

Un cours de trompettes-majors pour la Cavalerie, le Train et l’Artillerie fut créé à Saumur en 1945 lors de la remise sur pied de l’école d’application de l’arme blindée et de la cavalerie (EAABC). La direction de ce cours fut confiée à l’adjudant-chef Roger Caillé qui était également chef du 3e peloton de l’escadron de spahis de l’école et auquel succéda l’adjudant-chef Fernand Muteau en 1958. Les membres de la fanfare étaient affectés à un poste dans une unité ou un service de l’école et ne se regroupaient que pour les répétitions ou les cérémonies. Ce dispositif fut maintenu lors de la réorganisation d’août 1962. L’escadron de spahis disparut mais l’école fut autorisée à entretenir une fanfare qui devait être réalisée dans le cadre de ses effectifs théoriques. Le cours de trompettes-majors cessa ses activités en 1966 mais la fanfare de l’EAABC continua à être la référence pour les trompettes-major des régiments qui pouvaient y envoyer leurs trompettes en formation.

Dans les régiments, les militaires des fanfares étaient également affectés à un double emploi. Le peloton-fanfare formait tantôt un peloton de protection, tantôt un peloton anti-aérien. Cette double qualification était rendue possible par le fait que les fanfares ne comptaient que des instruments naturels. Certains appelés du contingent, qui avaient une bonne oreille musicale, ne savaient parfois pas lire le solfège mais apprenaient les morceaux « à l’air », ce qui est bien suffisant pour le service mais qui est impossible à faire avec un instrument d’harmonie.

Les filières CT1 et CT2 pour les trompettes-majors furent maintenues au conservatoire militaire lors de sa création en 1978. Des plans de mutation furent établis en collaboration étroite avec le bureau ABC de la DPMAT. Le général inspecteur de l’ABC, garant du maintien des traditions de l’Arme, veillait scrupuleusement à ce que les régiments qui en étaient dotés puissent entretenir une fanfare dans de bonnes conditions et que celles-ci utilisent des instruments naturels réglementaires pour ne jouer qu’un répertoire de cavalerie. La décision ministérielle n° 910 du 3 mai 1989, qui ne fut jamais ni abrogée ni modifiée, en fixa la composition réglementaire qui de jure est toujours en vigueur et devrait être appliquée[1]. Le décret n°2004-1101 du 15 octobre 2004 relatif au cérémonial militaire actuellement en vigueur prend acte de cette spécificité des fanfares de cavalerie en stipulant qu’« une fanfare de cavalerie ne pourrait jouer l’hymne national ».

Pourtant, de nos jours ces textes, qui ont force de loi pour le second et de directive de commandement pour le premier, sont violés par les fanfarmonies des régiments de l’ABC qui ne se contentent donc pas de fouler aux pieds le répertoire patrimonial de la cavalerie. Les dérives qui ont abouti à cette regrettable situation ont commencé à voir le jour au milieu des années 90 lorsque des instruments à système commencèrent à faire leur apparition dans les fanfares régimentaires.

Bien que cela ne soit pas prévu par les textes réglementaires, la raison donnée en fut de faire jouer l’hymne national à toutes les fanfares de cavalerie. Raison louable mais qui n’était qu’un prétexte avancé par certains chefs de fanfares en activité ou retraite, qui, abusant de la crédulité du commandement et mettant à profit la disparition de l’IABC et du bureau ABC de la DMPAT, voulurent imposer leur volonté de « déconstruire » le patrimoine musical de la cavalerie pour en tirer un profit personnel. Cette évolution, dont ils furent effectivement les seuls bénéficiaires, leur permettait en fait de pouvoir faire jouer des morceaux pour harmonie de leur composition et de se faire une réputation auprès de la Confédération française des batteries et fanfares. Cette reconnaissance leur permettait également de vaincre leur complexe d’infériorité vis-à-vis des musiciens commissionnés des musiques de l’armée de Terre, de pouvoir diriger, eux aussi, des stages de formation très rémunérateurs et d’imposer leurs morceaux lors de concours officiels pour toucher des droits d’auteur.

A partir de 1996, sans qu’aucune décision officielle de faire jouer l’hymne national par les fanfares de cavalerie ne fût émise, des instruments d’harmonie furent introduits dans les fanfares de cavalerie par simple arrangement sans qu’aucune décision officielle n’ordonne non plus de procéder à cette nouvelle dotation. La seconde étape fut de réformer progressivement les instruments naturels jugés indignes de leur talent et leur ego par nos nouveaux Karajan pour les faire disparaître définitivement. Les militaires inscrits dans les filiè res CT2 de trompette-major furent incités à se réorienter vers la musique d’harmonie s’ils voulaient faire carrière. Pour les gestionnaires de la DRHAT, peu au fait des spécificités de la cavalerie puisque le bureau ABC avait été supprimé, il n’existait qu’une spécialité « musique », et les sous-officiers de cette spécialité étaient interchangeables comme les mécaniciens ou les chanceliers. La gestion croisée entraîna la mutation dans l’infanterie d’une douzaine de sous-officiers de la spécialité « trompettes-majors » qui se reconvertirent en musicien d’harmonie et la filiè re « trompettes-majors » disparut de facto.

Accaparés sans doute par d’autres soucis, les chefs de corps durent faire confiance à leur chef de fanfare et ne réagirent pas face à ces dérives. Le résultat est que, de nos jours, les fanfarmonies régimentaires, qui interprè tent un répertoire non réglementaire et non traditionnel, tiennent plus du club de musique de garnison que d’une formation musicale militaire. Pour donner le change, les chefs de fanfare font interpréter parfois des morceaux en mi bémol avec leurs instruments d’harmonies. Cela peut tromper une oreille non avertie, car les notes sont les mêmes, mais l’absence de l’éclat et des fioritures que seules peuvent donner des instruments naturels font perdre à la mélodie son caractère enlevé et dynamique propre à l’esprit cavalier.

Les régiments dépourvus de formation musicale ont la chance de pourvoir recourir à une sono pour diffuser les enregistrements de leur patrimoine musical. Malheureusement, par facilité ou par ignorance, il arrive parfois qu’ils défilent, non pas au son d’une marche de cavalerie liée à leur histoire, mais sur marche d’infanterie ce qui n’a aucun sens. La fanfare de l’EAABC, devenue Fanfare principale de l’Arme Blindée Cavalerie sous la direction du capitaine trompette-major Éric Conrad, fut le dernier bastion à résister. Elle représentait la référence et l’exemple à suivre pour les fanfares de cavalerie. Capable de jouer aussi bien à pied qu’à cheval, elle représentait un patrimoine vivant que beaucoup regardaient avec envie, mais qui dérangeait les desseins des partisans de la disparition des fanfares de cavalerie. En prévision de la suspension du service militaire obligatoire, le colonel Philippe-Charles Perez, commandant en second de l’école avait préparé un plan de fanfare professionnalisée à 17 exécutants en double qualification. Il ne fut pas retenu par son successeur et la fanfare principale de l’ABC fut finalement dissoute en juillet 1999 sans qu’aucune solution pour remplacer les appelés du contingent par des EVAT ne fût trouvée pour la conserver ne serait-ce qu’en partie.

Il est un fait, qu’avec la professionnalisation, les arguments cauteleux ne manquèrent pas pour justifier le manque de volontaires parmi les EVAT pour servir dans une fanfare de cavalerie. Pourtant, le 1er RS, régiment professionnalisé depuis 1984, a réussi à maintenir sa fanfare avant qu’elle ne fût elle aussi sacrifiée sur l’autel d’une déconstruction politiquement correcte. En 2002, le général Pierre Garrigou Grandchamp tenta vainement de remettre sur pied une fanfare à l’école, mais il était déjà trop tard et ses interlocuteurs de la filière musicale, peu empressés de voir le projet aboutir, avaient beau jeu de lui faire savoir que si l’école avait besoin d’une fanfare de cavalerie, elle n’aurait eu qu’à garder celle qu’elle avait déjà.

Malgré l’existence d’un éphémère d’un cours de trompettes créé au sein de l’EAABC, la disparition de la fanfare principale de l’ABC, qui servait de référence aux fanfares régimentaires, accéléra leur dégénérescence. Leurs chefs, qui n’étaient plus ni inspectés, ni contrôlés continuè rent d’un commun accord à faire évoluer leurs formations musicales au gré de leur fantaisie dans un esprit de cancel culture. En 2012, alerté par son ancien trompette-major sur le complot qui était ourdi contre les dernières fanfares régimentaires, le général Arnaud Sainte-Claire Deville, nouveau commandant de l’école, tenta vainement de faire rétablir les règles du cérémonial propre à l’ABC, mais, dès qu’il quitta ses fonctions, son action fut rapidement battue en brèche et anéantie par le lobby auquel il avait dû faire face.

Les jeunes générations de cavaliers, n’ayant pas reçu cet héritage musical de leurs anciens, n’en ont aujourd’hui aucune connaissance. Ils ne mesurent donc pas le vide que constitue la disparation des éclats de nos anciennes fanfares qui donnait à l’Arme l’une de ses singularités liée étroitement à ses valeurs et à son esprit. Il est sans doute trop tard maintenant pour faire machine arrière, le mal est fait. On ne peut que se féliciter que le 1er RHP tente encore de perpétuer l’esprit cavalier au sein de l’armée de Terre, mais il ne s’agit sans doute que du dernier éclat d’une lumiè re qui se meure.

Cette triste évolution qui a été plus subie que voulue par le commandement devrait nous faire penser aux propos que Saint-Rémi tenait à Clovis au sujet de l’empire Romain : « Un peuple qui ne pratique plus le respect du mos majorum est un peuple qui va mourir. Toutes les sociétés obéissent à la même loi, lorsqu’elles ont cessé de vivre de leur raison d’être et que l’idée qui les a fait naître leur est devenue comme étrangère, alors elles se démolissent leurs propres mains. » C’est malheureusement ce qui s’est passé pour l’ABC qui s’est vue privée de son patrimoine musical avec la complicité de ses propres chefs de fanfares qui, pour ménager leur intérêt personnel, renièrent leur identité de cavaliers et se refusèrent à maintenir et à transmettre le patrimoine musical de leur arme aux jeunes générations.

Mais s’il est quasiment mort dans l’armée de Terre, d’autres se chargent de le perpétuer avec succès, comme les anciens de la fanfare du 8e RH. Leur association Les Hussards d’Altkirch assure même parfois des services individuels. On peut également se réjouir de l’existence de la Fanfare de trompettes de cavalerie des sapeurs-pompiers de Schleithal grâce à laquelle de jeunes musiciens sont associés à la préservation du patrimoine musical de la cavalerie. Enfin la fanfare de cavalerie de la Garde républicaine, unité de la Gendarmerie nationale et dépendant du ministère de l’Intérieur, s’attache brillamment à préserver la belle tradition musicale de la cavalerie française. Aujourd’hui ce sont donc des retraités, des sapeurs-pompiers civils et des gendarmes qui permettent de sauver les traditions de la cavalerie blindée.

La disparition, dans l’armée de Terre, du patrimoine musical de la cavalerie, patrimoine national qui répondait à une histoire et à un certain esprit est désormais accomplie. Aussi, plutôt que d’entretenir des fanfarmonies régimentaires qui ont perdu leur raison d’être, il serait sans doute souhaitable de leur substituer deux trompettes formés exclusivement à la trompette d’ordonnance dans tous les escadrons de l’ABC. Cette mesure salutaire au maintien du patrimoine et au bien du service permettrait aux sonneries de quartier et surtout au cérémonial militaire d’être préservés, et d’honorer plus facilement les services individuels sur l’ensemble du territoire national.

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