Le Ravivage de la Flamme sous l'Arc de Triomphe
par Axel Chagnon
Chaque soir, à 18h30, sous l’Arc de Triomphe, un rituel discret mais empreint d’une intense signification se déroule : le ravivage de la Flamme du Soldat Inconnu. Ce geste, initié le 11 novembre 1923, honore la mémoire des soldats tombés pour la France. Pourtant, peu de Parisiens en connaissent véritablement l’origine et la portée.
Le choix du Soldat Inconnu
Sous la voûte majestueuse de l'Arc de Triomphe, une flamme brûle jour et nuit. Sa lumière vacillante se reflette sur une grande dalle de granit où sont gravés ces mots :
REPOSE
UN SOLDAT
FRANÇAIS
MORT
POUR LA PATRIE
(1914-1918)
Le 10 novembre 1920, dans la citadelle de Verdun, un jeune soldat, Auguste Thin, est chargé de désigner, parmi huit cercueils anonymes, celui qui reposera sous l’Arc de Triomphe. Ce geste, hautement symbolique, vise à rendre hommage à tous les combattants morts au front, dont beaucoup n’ont jamais pu être identifiés.
Auguste Thin, marqué par l’émotion et le souvenir de son propre père disparu, témoigne ainsi de son choix :
« En additionnant les chiffres de mon régiment, 132, j'obtiens le chiffre 6. C’est donc le 6e cercueil que je désigne. »
Le cercueil est rapatrié à Paris et exposé sous l’Arc de Triomphe, où il devient un lieu de recueillement. Le 28 janvier 1921, il est installé dans un caveau définitif.
La naissance de la Flamme du Souvenir
Dès le 20 novembre 1916, au cours d'une cérémonie funèbre se déroulant dans le cimetière de Rennes, M. F. Simon, président du Souvenir Français de la cette ville prononçait :
« Pourquoi la France n'ouvrirait-elle pas les portes du Panthéon à l'un de ces combattants ignorés mort bravement pour la Patrie, avec deux mots seulement pour l'inscription sur la tombe : Un Soldat, et deux dates : 1914-19.. »
L'idée fut reprise en 1918 par M. Maurice Maunoury, député d'Eure-et-Loire, et par M. Crescitz, président de la Société Française de Berne. Mais l'entreprise trouva des détracteurs et la politique s'empara du sujet.
Le 12 novembre 1919, la Chambre des Députés décidait que le corps d'un soldat inconnu serait transporté au Panthéon. La Commission de l'Armée fut chargée de régler les détails de l'exécution. Elle mit un an à prendre sa décision.
L'écrivain Binet-Valmer, alors vice-président de la Ligue des Chefs de Section[1], entreprit une campagne d'une extrême vigueur pour obtenir que le soldat choisi reposât sous l'Arc de Triomphe, menaçant même de descndre dans la rue avec ses frères d'armes. Le président du Gouvernement d'alors, M. Georges Leygues, adopta sa façon de voir et, le 8 novembre 1920, il obtint l'unanimité de la CHambre et du Sénat, pour la loi suivant :
ARTICLE PREMIER : Les honneurs du Patnhéon seront rendus aux restes d'un des soldats non identifiés morts au Champ d'honneur au cours de la guerre 1914-1918. La translation des restes de ce soldat sera faite solennellenment le 11 novembre 1920. Art. 2 : Le même jour, les restes du Soldat Inconnu seront inhumés sous l'Arc de Triomphe.
Les huits corps de soldats français non identifiés, prélevés sur huit différents secteurs du front, Flandre, Artois, Somme, Ile-de-France, Chemin-des-Dames, Champagne- Verdun, et Lorraine furent transportés dans une casemate de la citadelle de Verdun. Les cercueils furent plusieurs fois changés de place entre eux afin de que reste totale l'ignorance du héros qui serait choisi. Après le choix d'Auguste Thin, le soir même, le Soldat Inconnu était acheminé sur Paris où il arrivait à minuit quinze. Le matin du 11 novembre, après une émouvante cérémonie au Panthéon, au son du canon, il rejoignait sa chapelle ardente dressée dans l'une des salles de l'Arc de Triomphe, en haut des deux cents marches.
Le caveau fut prépapré, et, le 28 janvier 1921, en présence de M. Lloyd George, premier ministre britannique, du coprs diplomatique, des maréchaux Foch, Joffre, Pétain et d'une foule de délégation, le cercueil, porté par huit sous-officiers décorés de la Médaille militaire, fut déposé près de sa tombe. Le ministre de la Guerre, M. Barthou, plaça sur la bière enveloppée du drapeau tricolore un coussin sur lequel était épinglé la Légion d'honneur, la Médaille militaire et la Croix de Guerre, et prononça les paroles suivantes :
« Au nom de la France pieusement reconnaissante et unanime, je salue le Soldat Inconnu qui est mort pour elle.
Cette Légion d'honneur, cette Médaille militaire, cette Croix de Guerre que j'ai déposée sur son cercueil sont plus et mieux qu'un symbole.
Elles sont l'hommage suprême de la Patrie aux héros obscurs et anonymes qui sont tombés pour elle.
Les morts, surtout les morts, commandent aux vivants, obéissons à leurs voix pour faire, dans la paix qu'ils ont conquise, une France unie et laborieuse, confiante et forte. »
La Marseillaise retentit et le cercueil dut descendu dans la caveau, la dalle sacrée scellée sur lui.
Le 11 novembre 1922, 400 drapeaux régimentaires dissous viennent s’incliner devant la tombe du Soldat Inconnu. Gabriel Boissy, journaliste à L’Intransigeant, propose alors l’idée d’une flamme éternelle pour symboliser le souvenir ininterrompu.
Les ministres André Maginot et Léon Bérard, accompagnés de Paul Léon, directeur des Beaux-Arts, soutiennent cette initiative. L’architecte Henri Favier conçoit un dispositif ingénieux : une flamme jaillissant d’un canon pointé vers le ciel, encastré dans un bouclier décoré d’épées formant une étoile.
Le 11 novembre 1923, André Maginot, héros de la Grande Guerre, allume cette flamme pour la première fois. Elle devient un symbole puissant, honorant non seulement les soldats de la Première Guerre mondiale, mais aussi tous ceux tombés pour la France dans les conflits suivants.
Un rituel chargé d’histoire
Le ravivage de la Flamme est confié au Comité de la Flamme, créé peu après l’inauguration. Composé à l’origine d’anciens combattants, il accueille aujourd’hui diverses délégations : associations, écoles, professions et citoyens, tous désireux de perpétuer ce geste de mémoire.
Dès ses débuts, le rituel évolue. Les cortèges peuvent être accompagnés de musiques militaires ou de marches tambour. Le 14 juillet 1931, la sonnerie Aux morts est jouée pour la première fois lors d’un ravivage, ajoutant une dimension musicale et solennelle.
Chaque 11 novembre se déroulait
Les évolutions musicales
En 1976, une décision ministérielle introduit une nouvelle sonnerie, Honneur au Soldat Inconnu, composée par l’adjudant-chef Armand Thuair. Si cette sonnerie n’est pas unanimement appréciée, elle est réarrangée dans les années 1970 par la Musique de l’Air pour en améliorer l’impact.
En 2000, sous l’impulsion du général Combette, une nouvelle sonnerie spécifique, La Flamme, est commandée. Composée par l’adjudant-chef Jean-Pierre Brisson, elle est jouée pour la première fois le 16 octobre 2000 par la Musique de la Garde Républicaine. Depuis, elle rythme les cérémonies, marquant la montée et la descente des autorités.
Voici le déroulé d’un ravivage :
- Garde à vous
- mise en place du drapeau de la Flamme
- mise en place des drapeaux et du cortège (marches tambours)
- Garde à vous
- La Flamme (remontée des autorités)
- discours de présentation du cérémonial
- Garde à vous
- dépôt de gerbes
- ravivage de la Flamme
- Aux morts
- La Marseillaise
- signature du livre d’or et remerciements
- Garde à vous
- Honneur au soldat inconnu (intitulé « hymne au soldat inconnu »)
- La Flamme (descente des autorités)
- Garde à vous
- fin de cérémonie.
Il est probable que ce cérémonial évolue encore. Le Comité de la Flamme archive tous les livres d’or depuis 1923 dans son local, ainsi que de nombreuses photos. En prenant attache auprès du comité, des musiques civiles peuvent aussi participer au ravivage.
Un lieu de mémoire universel
L’Arc de Triomphe, construit sous Napoléon pour célébrer les victoires de ses armées, est devenu un lieu de mémoire collective, transcendant les conflits et les époques. La Flamme du Souvenir, ravivée chaque soir depuis 1923, illustre la reconnaissance nationale envers ceux qui se sont sacrifiés pour la liberté.
Le Comité de la Flamme conserve soigneusement les archives des ravivages : livres d’or, photographies et récits, témoins précieux de l’évolution de ce rituel. Aujourd’hui, des musiques civiles, en concertation avec le Comité, peuvent également participer, reflétant l’universalité de cet hommage.
Une mémoire vivante
Ce rituel, profondément ancré dans la tradition française, continue de rassembler des générations autour d’une idée commune : honorer la mémoire des sacrifices et transmettre les valeurs de paix et de liberté.
Qu’il s’agisse des cérémonies nationales ou des hommages plus modestes, le ravivage de la Flamme sous l’Arc de Triomphe demeure un symbole vibrant, liant passé, présent et futur.