Journal d'un musicien de la garde républicaine en Amérique

Journal du musicien Garval, retranscription par Axel Chagnon

Voyage en Amérique fait par la Musique de la Garde Républicaine. Départ de Paris le 23 Mai 1872 sur le Saint-Laurent, arrivés à New-York le 6 Juin, repartis pour Boston le même jour.

Souvenirs d’une ovation.

C’était en Juin 1872. Depuis nos revers, on avait pu, non sans vraisemblance, accuser les sympathies américaines de devenir quelques peu allemandes. Les félicitations du président Ulysse Grant étaient arrivées bonnes à Versailles en 1871, lors de la proclamation de l’Empire d’Allemagne. L’Amérique n’attendait qu’une occasion pour pouvoir démontrer victorieusement que ses sympathies françaises étaient loin d’être éteintes, et les éléments la lui fournirent bientôt.

Au printemps de 1872, le gouvernement français consentit à envoyer à Boston la Musique de la garde républicaine conduite par Mr Paulus à l’occasion d’un grand festival artistique internationale, par l’audacieux imprésario américain Gilmore. Des milliers de personnes enthousiastes attendaient sur le quai de la Compagnie Transatlantique l’arrivée des musiciens français. Les hourras les accueillirent, mais fidèles à la consigne qu’ils s’étaient imposée, nos compatriotes se rembarquèrent presque aussitôt pour Boston sur le b&acedil;timent Le Rhode Island, un des immenses palais flottants qui sillonnent quotidiennement la rivière de l’Est. Ils arrivèrent à Boston le lendemain matin à 10h et trouvèrent à la gare, le maire pour leur souhaiter la bienvenue. Les deux tiers de la population étaient dans la rue, acclamant les français à leur passage et accompagné de la municipalités ils entrèrent à l’hôtel qui leur avait été réservé, ils furent salués par une salve de 36 coups de canon.

Mais l’accueil qu’ils reçurent le 20e jour du festival international dépassa tous ce qu’on peut imaginer. Le journal The Boston s’exprime ainsi sur le sujet :

«Lorsque les Républicains ont défilé sur l’estrade en succédant aux musiciens allemands, tous l’auditoire, les chœurs, l’orchestre se sont levés. Comme un seul homme on poussait de longs vivats, un enthousiasme aussi cordial qu’unanime. Cette ovation qui dura cinq minutes était bien pour flatter l’amour propre de nos hôtes français. Cependant les musiciens français s’étaient formés en demi-cercle sur la plate-forme, et leur chef Mr Paulus avait pris place au milieu d’eux. Dès que la tranquillité a été à peu près établi, la musique fidèle à la politesse traditionnelle de la belle France, a attaqué notre air national Hail Colombia. Spontanément tous les spectateurs se sont levés et se sont tenus debout jusqu’à la fin du morceau. Trois corbeilles de fleurs, ayant été envoyés par quelques amateurs, une autre scène indescriptible d’enthousiasmes s’en est suivie, les mouchoirs et les chapeaux s’agitaient, de tous côtés on poussait des vivas tellement formidables que par moment on entendait plus une seule note. Après avoir répété l’air national américain, les musiciens français ont exécute la Marche aux Flambeaux de Meyerbeer et l’Ouverture de Guillaume Tell. Admirablement enlevés, ces deux morceaux ont été vivement applaudis, et une autre corbeille de fleurs a été présentée à Mr Paulus.

Mr GILMORE a fait alors son entrée, son b&acedil;ton de chef d’orchestre à la main. Sous sa direction, l’orgue et les chœurs ont commencé à exécuter l’hymne national français ; à ce moment l’enthousiasme était arrivée à son apogée. Le premier couplet ayant été dit par les cho&elig;urs, la Musique de la garde républicaine a entamé le refrain Aux armes. Lequel a été répété par les chœurs, l’orchestre, l’orgue. L’auditoire lui-même a fini par se joindre aux exécutants pour chanter l’hymne français, que les détonations éclatantes de l’artillerie, arrangée par Mr Gilmore rendaient encore plus imposant. L’épuisement seul put mettre fin aux hourras d’enthousiasme. Après que les artistes de Mr Paulus eurent exécuté en guise de remerciements nos autres chants nationaux, la musique française s’est retirée accompagnée par les vivats et les applaudissements prolongés. Lorsqu’ils eurent donné les jours suivants plusieurs concerts, on s’étoufait littéralement. L’orchestre de Mr Paulus dut revenir à New-York pour regagner la France, son absence ne devait pas excéder deux mois. Les adieux de la population de Boston à nos artistes fut enthousiasme selon les témoins oculaires, à la dernière limite du fanatisme. »

Les musiciens français arrivèrent le 8 Juillet à New-York. On recommença pour eux une nouvelle série d’ovation. Les concerts, les banquets en l’honneur de Mr Paulus, et de ses compagnons, se succédaient à tour de rôle, l’Amérique ne cessait d’acclamer à la fois la France et ses artistes les représentants.

« Les manifestations des irlandais américains, nous a raconté Mr Paulus, étaient surtout plus chaleureuse que toutes les autres. Je dois aussi payer un tribut à la mémoire d’un de mes artistes aujourd’hui décédé. Sylvestre, l’un des meilleurs cornettistes qu’ait formé Arban, dont les solos provoquaient l’admiration des foules. Dans un des concerts, les dames de New-York nous avaient envoyés un tel nombres de corbeille de fleurs, qu’il s’en trouva une pour chacun de mes musiciens. Il fallu plusieurs voitures pour emporter tous les bouquets. »

Cependant, l’immense succès que les gardes républicains avaient obtenus à Boston et à New-York, leur avait valu de la part d’un grand nombre de villes, de pressantes invitations à venir se faire entendre. Mais la permission du Général de Cissey, Ministre de la Guerre était limitée. Mr Paulus avait refusé mais la municipalité de Chicago ayant imaginée de télégraphier directement à Mr Thiers, Président de la République, obtint pour nos musiciens une prolongation d’un mois qui leur permit d’aller donné six concerts à Chicago.

Ils arrivèrent le 14 juillet dans l’immense cité qu’on appelle la Reine de l’ouest, et voici, d’après le Chicago Journal de l’époque, avec quel enthousiasme ils y furent reçus :

«La réception faite hier soir à la Musique de la garde républicaine française a été une ovation complète. Vingt mille personnes s’étaient assemblées à la gare du chemin de fer et de ses abords. Plusieurs sociétés de notre ville auxquelles s’étaient jointes les sociétés italiennes et irlandaises ont escorté les musiciens français jusqu’à l’Hotel Continental où ils sont descendus. Les rues par lesquelles passaient le cortège était remplie de spectateurs qui ont acclamé avec enthousiasme les musiciens à leur passage. Le lendemain de leur arrivée, le maire de Chicago, accompagné des membres du comité de réception est aller souhaiter la bienvenue aux artistes français, et leur offrir l’hospitalité de la ville. «Messieurs du corps de musique de la garde républicaine de France, leur a-t-il dit, le conseil communal à adopté les résolutions que voici, attendu que son excellence le Président de la République Française a honoré la ville de Chicago en autorisant la Musique de la garde républicaine a visité cette ville, il est résolu que l’hospitalité sera offerte à ce corps de musique pendant son séjour parmi nous, et que le conseil communal assistera en corps à la grande reception qui leur sera faite lors de son arrivée ici. »

Et en effet, les musiciens de la garde restèrent à l’Hotel Continental pendant tout le temps de leur séjour à Chicago. On leur fournit dit The Time , « tout ce qu’ils pouvaient désirer : cuisine française, vins français… »

Impossible de suivre en détail ces vaillants artistes dans le cours de leur tournée triomphale à Cincinnati, Pittsburgh, Baltimore et Philadelphie. Embarqués pour la France à New-York le 10 août à 10h du matin sur le bateau à vapeur le Washington, arrivés le 23 août au Havre à 11 heures du matin.


SOURCES :
Journal d'un musicien de la garde républicaine en amérique, archives du musée de la gendarmerie à Melun.

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