Les Dragons de Noailles

par Thierry Bouzard, avec la documentation d'Axel Chagnon

Dans l'armée française, les chants de cavaliers ne sont pas si nombreux. Celui des Dragons de Noailles en est d'autant plus intéressant, même si la musique n'est pas de Lully ni les paroles contemporaines du maréchal Anne de Noailles.

Les paroles ressemblent à celles d'une ancienne chanson mentionnée dans un manuscrit daté des années 1765-66 qui ne donne qu'un unique couplet (Chansons inédites du temps des trois Louis 1610-1774, Henri Bellugou, Angers, 1975, page 59). Il rappelle une chanson de 1666 faisant allusion à la blessure du chevalier de Chevreuse dont on peut penser qu’il fut écrit sur le même air que celui des Dragons de Noailles :

Loulanla jai le nez cassé
Je n’irai plus dans la tranchée
Loulanla jai le nez cassé
Je men vas me faire panser.

On en retrouve un autre trace en 1902, car on reconnait la cadence des paroles dans Chants et chansons des soldats de France de Joseph Vingtrinier (Méricant, page 6) :

Lon Ion la, laissez-les passer Les Français dans la Lorraine,
Lon lon la, laissez-les passer.
Ils ont eu du mal assez...

Par contre, on ne le trouve pas mention du chant dans l'ouvrage du capitaine Choppin (La Cavalerie française, Garnier frères, 1893) qui fournit pourtant de nombreux chants de cavaliers. On ne le retrouve pas plus dans les trois volumes du chef de musique Léonce Chomel (Marches historiques, chants et chansons des soldats de France, Bibliothèque du Musée de l'armée, 1910), ni dans les deux volumes de chants militaires publiés par le ministère de la Guerre dans les années 1940 qui regroupe les morceaux essentiels du patrimoine militaire chanté. Il n'est pas au répertoire des scouts ni dans celui des chantiers de jeunesse. Indice d'une création militaire, on ne retrouve pas le chant dans les enregistrements civils historiques.

Portrait de Jules-Semler-Collery (1902-1988) avec partition

Son premier enregistrement figure sur le 25 cm du 13e RDP en 1963 (disque Pégase). Le dragon-parachutiste auteur des paroles n'a pas été identifié, pas plus que les circonstances de la création du chant. Il est repris par la promotion de l'EMIA Plateau des Glières (30cm, SODER, SOD 20702, 1970). Il est aussi enregistré par les élèves sous-officiers de l'école de cavalerie de Saumur (SOE, 45 tours, Janeret, 031, vers 1970).

La chanson est publiée dans les recueils à la fin des années 60 (Recueil de chants du 6e RPIMa, Recueil de chants de l'ENSOA, Chants du 2e régiment de hussards, …). On peut donc affirmer que le chant est attesté dans le répertoire militaire dans la décennie 1965-1975.

Pochette 13e RDP

En ce qui concerne la composition de la musique, Les Dragons de Noailles est une marche « harmonisée, orchestrée et exécutée pour la première fois par un ensemble de 2000 musiciens à l'occasion des Nuits de l'armée 1954 ». Elle est enregistrée par le commandant Jules Semler-Collery, chef de la musique des équipages de la flotte (25 cm, Nuits de l'armée, Philips, P 76.120R, 1954).

Pochette Phlips Nuits de l'armée

Elle est réenregistrée en 1958 sur le disque Marches historiques n° 1 (30 cm, Decca, 153.828) avec la musique du 1er régiment du train sous la direction du capitaine Semler-Collery qui signe aussi l'harmonisiation (il est nommé commandant chef de musique principal le 01/03/1947). Si elle est datée de 1678, sans autre indcation sur la pochette, elle figure bien dans lla liste de ses compositions dans son dossier au SHD, mentionnant qu'elle est éditée par Leduc.

La grande collection des enregistrements militaires de Decca comptera près de 80 titres. La fin de la guerre d'Algérie mettra fin à son développement, ainsi que chez les autres labels. Mais leur importante diffusion à l'époque a probablement permis à cette marche d'inspirer des paroles.

Pochette Marches historiques n° 1

Les paroles d'origine diffèrent, spécialement dans le refrain (Ils ont eu du mal à la guerre devenu Les Français sont dans la Lorraine). Le refrain garde ainsi la trace de la guerre d'Algérie qu'il n'existait pas à l'époque, il fallait parler seulement des « événements d'Algérie ». On n'entend pas non plus le couplet sur l'incendie et le pillage de Coblence et du Palatinat. Il a été ajouté en 1970 par le journaliste Patrice de Plunkett : « Ils ont incendié Coblence, / Les fiers dragons de Noailles, / Et pillé le Palatinat, / Ils ont incendié Coblence. » Son esprit belliqueux et agressif à l'égard de nos voisins germaniques, différent de celui des autres couplets, vaudra au chant d'être proscrit du répertoire de la Brigade franco-allemande.

Paroles actuelles (l'ordre des couplets peut varier) :



1. Ils ont traversé le Rhin,
Avec Monsieur de Turenne,
Jouez fifres et tambourins,
Ils ont traversé le Rhin.


Refrain Lon, lon, la, laissez-les passer,
Les Français sont dans la Lorraine,
Lon, lon, la, laissez-les passer,
Ils ont eu du mal assez.



2. Ils ont décoré Paris,
Les fiers dragons de Noailles,
Avec les drapeaux ennemis,
Ils ont décoré Paris.



3. Ils ont fait tous les chemins,
D'Anjou, d'Artois et du Maine,
Ils n'ont jamais eu peur de rien,
Ils ont fait tous les chemins.



4. Ils ont protégé le roi,
Il en sera fort aise,
Car ils sont ses meilleurs soldats,
Ils ont protégé le roi.



5. Ils ont incendié Coblence,
Les fiers dragons de Noailles,
Et pillé le Palatinat,
Ils ont incendié Coblence.


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