Personnalités - Chefs de musique

Adolphe Valentin Sellenick :

par Axel Chagnon

Sellenik ou Sellenick, est né le 3 septembre 1826 à Libourne, fils de Jospeh et de Anna Chrismann. Il est une des plus grandes figures marquantes de la musique militaire française. Son père était musicien gagiste au 1er régiment de chasseurs à cheval. Il le plongea dans l'univers musical dès son enfance. Il fait trois années d'études à l'école de musique municipale de Strasbourg, de 1841 à 1844, où il explore plusieurs instruments et la direction d'orchestre. Il fonde en 1847 la Fanfare Sellenick, dissoute en 1887 par les autorités allemandes après le dépôt d'une gerbe sur le socle de la statue de Kléber, général strasbourgeois. Elle fut aussitôt reconstituée sous l'appellation Fanfare vosgienne.

En 1844, il effectue trois mois de prison pour outrage à la pudeur. Premier chef d'orchestre de l'opéra de Strasbourg, de 1849 à 1854, il intègre le 2ème régiment de voltigeurs de la Garde impériale en octobre 1854. Il dirige la musique de son régiment pendant la campagne d'Italie en 1859. Sa contribution est saluée par le comte Maurice d'Irisson Hérisson dans son journal de campagne :

« 13 Juin. Gorgonzola-Inzago.- Enfin, nous voilà partis... et lorsque, suivant les contours de l'enceinte bastionnée, nous arrivons près de la porte orientale, la musique attaque vigoureusement la marche dédiée par Sellenick, son auteur, au colonel du 2ème voltigeurs. En avant... et Sursum corda ! »Hérisson, Comte d', Journal de la campagne d'Italie, 1859, p. 173.


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Sellenick en tenue du 2ème régiment de voltigeurs de la Garde impériale.
(Collection Jérôme Discours - https://www.military-photos.com)

Engagé dans la campagne contre l'Allemagne à partir du 22 juin 1870, il est fait prisonnier du 29 octobre 1870 au 18 mars 1871. À sa libération, il devient chef de musique au 98ème régiment d'infanterie, puis à la musique de la 2ème de la Garde républicaine en 1871. En 1873, les musiques des 1ère et 2ème légions fusionnent. Il en prend la direction en 1874, succédant à Jean-Georges Paulus, position qu'il occupe jusqu'à sa retraite en 1884.

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Sellenick en tenue de Garde républicain, avec toutes ses décorations.
(Collection Jérôme Discours - https://www.military-photos.com)

Le 30 juin 1878, Sellenick exécute La Marseillaise lors de l'inauguration de la statue de la République à l’Exposition universelle de 1878, sans avoir reçu l'ordre des autorités, l'hymne n'étant joué qu'en temps de guerre. Il recevra un blâme sévère par le Gouverneur militaire de Paris, au nom du Colonel commandant la légion de la Garde républicaine. La Marseillaise ne redeviendra l'hymne de la France qu'en 1879.

Outre ses fonctions militaires, Sellenick laisse un héritage musical significatif. Il compose de nombreuses marches militaires, des airs pour harmonies et fanfares, des opéras, des œuvres pour piano, ect... En 1879, la musique de la Garde républicaine prêta son concours à Londres, à une fête de bienfaisance donnée au profit de l'hôpital français. Ce fut à l'occasion de cette solennité qu'Adolphe Sellenick improvisa en une nuit, sa Marche indienne, qui lui valut de la part du prince de Galles une bague montée d'un saphir. En 1880, il reçut l'ordre du général Farre, alors Ministre de la guerre, de composer une pour le 14 juillet, une Marche des drapeaux qui servit au défilé lors de la remise des emblèmes aux régiments, à l'hippodrome de Longchamp. En 1881, à la fête alsacienne de l'arbre de Noël, la musique militaire fit entendre à l'Hippodrome la Retraite tartare, qui provoqua les plus vifs applaudissements. Il composa les opéras-comiques suivants : Crispin rival de son maître, 1860 ; Les diamants de la diva ; Le Florentin ; Le Fou Chopine, 1883 ; Le turc malgré lui ; D'une pierre deux coups.

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Acte de décès.
(Archives des Andelys)

Décoré de plusieurs distinctions, dont la Légion d'honneur en 1876, il prend sa retraite en 1884 et s'installe aux Andelys, en Normandie, auprès de quelques-uns de ses anciens artistes, et pour se livrer à la pêche qui était sa distraction favorite. Sur la demande de musiciens de la ville, il voulut bien présider la société musicale et les encourager par ses excellents conseils. Il décède le 25 septembre 1893, à l'âge de 67 ans seulement, un an après son épouse, Louise Agathe Aspe dit Fleurimont. Ses obsèques furent grandioses et donnèrent lieu à une importante manisfestation : le corps fut placé en chapelle ardente sous la Halle publique, le Sous-préfet, le conseil mnicipal au complet, les membres du Tribunal et de toutes les administrations, les officiers de l'école des enfants de troupes, M. Gabriel Parès, chef de la musique de la Garde républicaine, une délégation de douze des plus anciens artistes de cette musique, un grand nombre de délégations de sociétés musicales environnantes et toute la poulation andelysienne escortèrent sa dépouille.

« Mesdames, Messieurs, Je suis appelé, au nom de la ville que j'ai l’honneur d'administrer, à apporter l'hommage ému de mes concitoyens sur la tombe du maître célèbre à qui nous venons de rendre les derniers devoirs, du musicien dont le nom et les œuvres ont retenti dans le monde entier. On se plaisait à rencontrer dans les rues de la ville, cette physionomie sympathique, éclairée, inspirée. Rien n’est plus ! Et dans le cercle de ses amis combien attachait-on d'intérêt aux récits de cet homme qui, dans sa longue carrière, a frôlé tous les mondes. Sellenik a passé ! Mais sa mémoire restera aux cœurs de ceux qui l’ont connu et apprécié et vivra dans la ville des Andelys dont il avait fait sa résidence préférée, et longtemps encore les échos du pays de France rediront les fanfares patriotiques de l'ancien chef de musique de la Garde républicaine. Que sa famille veuille bien accueillir ce dernier adieu comme l'expression de notre respectueuse et sincère sympathie. »

discours du maire de la ville des Andelys.

« Messieurs, II y a à peine 48 heures que Sellenik n'est plus, et déjà toute la presse française, sans distinction d’opinions lui a rendu les hommages que comporte son talent. C’est donc avec modestie, mais avec une fierté bien légitime que je viens, au nom de la Société Philharmonique dont il était le vénéré chef, lui donner un dernier témoignage de reconnaissance, un éternel adieu. Je ne vous dépeindrai pas Messieurs, l'homme officiel, le brillant officier de la Garde auquel le talent faisait comme une auréole plus brillante que les croix qui scintillaient sur sa poitrine, mais simplement l’artiste épris de son art merveilleux, qui a su abandonner sans regret les prestiges d'une situation enviée, pour se consacrer à l'éclosion de nos bonnes volontés et nous rendre dignes d’emporter vos suffrages. Si l’art était le sentiment qui le dominait, inutile de vous dire que la charité était son but.

Il avait pour nous guider cette ténacité alsacienne qui ne transige pas avec les règles inflexibles de l'harmonie, il avait cette intuition si difficile d'utiliser ou d'absorber les amours-propres d une Société d'amateurs, de discipliner leur indépendance naturelle et de nous associer aux douces émotions de sa réussite. Le bâton de chef d’orchestre à la main, Sellenik était transfiguré. Nous comprenions à son regard, l'idéal qu’il poursuivait et que sa volonté persistante finissait à nous faire atteindre. — Nous étions fiers alors de vos applaudissements et nous reconnaissons aujourd’hui que lui seul les méritait.

L'homme privé ? Nous étions tous ses amis et c'est avec confiance que l'ouvrier, l'artisan venaient serrer cette main loyale toujours prété aux bonnes œuvres. Un trait suffira du reste pour juger lhomme intime. Lorsque, convié à la messe de Sainte-Cécile, il y a je crois trois ans, il avait déjà enthousiasmé l’assemblée par l'audition d’œuvres nouvelles, au moment où le chœur entonne le Domine salvam fac, Sellenik se lève et, spontanément, tout l'orchestre accompagne sous l’œil humide du maître appelant la protection de Dieu sur notre pays. « Je vous réponds, disait-il fièrement à la sortie, que notre prière est montée jusqu’au ciel, car cette fois nos instruments étaient bien à l’unisson de nos cœurs.

D'autres, plus experts dans l'art de bien dire, pourront glorifier comme il convient ses compositions qui forment l’œuvre abondante et variée du maître, mais le temps qui fait et défait les renommées nous conservera le nom de Sellenik comme l’auxiliaire le plus puissant de la confiance en l'avenir du pays blessé.

Honneur à lui qui aura travaillé à la juste réparation que nous reserve l'avenir !

Sellenik, Tu as cette gloire indiscutée de faire battre nos cœurs plus vite lorsque le régiment passe aux accents mâles de tes pas redoublés. Tu as su fortifier nos cœurs et les élever à la hauteur du tien en chantant nos malheurs et nos espérances. Reconnaissant de notre modeste hospitalité, tu as chanté nos légendes et nos ruines glorieuses. Ton cœur s'est ému aux querelles de frontières et tu nous a fait partager tes angoisses dans le Braconnier. Et (singulière ironie de la gloire) jusque dans l'agonie, tu as pu entendre le reflet d’un de tes chefs-d'œuvre, la Marche indienne dont le peuple s’est emparé, pour en faire comme l’accompagnement naturel de ses réjouissances publiques.

Tu as noblement rempli les devoirs de citoyen, de Français, d'Alsacien exilé.

Adieu. Sellenik ! — Et puisque la force prime encore jusqu’au droit de reposer dans ce pays d’Alsace qui t’a vu naître et dont tu as retracé la douce poésie, souvenir de l'enfance, reçois l'hospitalité suprême de ton pays d'adoption. Dors en paix. Sellenik, dans notre terre bien française, et si le temps use ton nom sur la pierre funéraire, ton œuvre toujours survivra.

Adieu. »

Discours du président de la société philharmonique.

Sa carrière remarquable, jalonnée de succès et de contributions musicales diverses, demeure un témoignage durable de son talent et de son dévouement à la musique militaire française. Sur l'encouragement des musiciens des Andelys, le 19 mai 1907, la ville lui inaugure un buste, exécuté par M. Ducouing en accord avec M. Dujardin-Beaumez, directeur des Beaux-Arts. Parmi les nombreux souscripteurs se trouvèrent celles du prince de Galles et de la Reine de Hollande, à qui il avait dédié sa Marche indienne et Guillaume III. La veille de l'inauguration, la musique de la Garde républicaine participa à un concert, dans le square, en face du monument. Malheureusement, il fut détruit et fondu par les allemands en 1942.

La marche indienne, dédiée à Son Altesse Royale le Prince de Galles.
Sellenick
(Collection Axel Chagnon)
Sellenick
À Sellenik la ville des Andelys et ses admirateurs.
(Collection Axel Chagnon)

Lien vers la Bibliothèque Nationale de France

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